es de ne pas aimer ta mere: je n'y saurais que faire, ma
chere Fernande; mais je suis charmee que tu ne lui ressembles en rien;
et si quelque chose peut me consoler de la precipitation avec laquelle
se conclut ton mariage, c'est qu'il te separera bientot d'elle: tu
ne peut pas tomber en de plus mauvaises mains que celles dont tu vas
sortir; sois sure de ce que je te dis. Il m'importe peu que cela soit
conforme aux saintes lois du prejuge; il me parait conforme a celles de
la raison de t'eclairer sur le caractere d'une personne qui a tant de
part dans ta vie; et la raison est le seul guide que je consulte, le
seul dieu que je serve.
Je croirais volontiers que la penetration de M. Jacques n'est pas une
chimere. Je suis persuadee de la rectitude des premiers jugements,
quand la personne qui les porte s'est habituee a rassembler toutes les
facultes de l'observation pour les exercer a la fois sur la premiere
impression recue. Il a bien juge de toi et de ta mere; cependant, a
l'egard de celle-ci, il peut se faire que quelque souvenir d'enfance
aide beaucoup a l'aversion qu'il a sentie en la retrouvant.
L'histoire de la vieille Marguerite ne me semble pas, comme a toi, un
grand sujet de trouble et de consternation. M. Jacques s'est comporte en
homme d'esprit en t'aidant dans tes petites charites; mais je comprends
fort bien qu'il y ait ete ennuye des litanies de la mendiante, En ceci
je trouve l'occasion de te faire observer que vous etes destines, M.
Jacques et toi, a differer toujours de sentiments et de conduite, quand
meme vous aurez tous deux raison. Je souhaite qu'il sache toujours
tolerer cette difference, et qu'il te permette d'eprouver les emotions
auxquelles son coeur sera ferme.
Adieu, ma bonne Fernande; tu vois que je n'ai aucune prevention contre
la personne de ton fiance. D'ailleurs le jour ou tu ne voudras plus
entendre la verite, il faudra cesser de me la demander.
Je vis toujours tranquille et heureuse au fond de mon abbaye. Les
religieuses ont renonce envers moi a toute espece de tracasserie. Je
recois les visites que je veux, et je vais quelquefois dans le monde
depuis que j'ai quitte le grand deuil de veuve. La famille de mon mari
a d'assez bons procedes envers moi, et pourtant ce n'est pas une
tres-aimable famille. J'ai agi avec prudence envers elle. La raison, ma
chere Fernande! la raison! avec cela on fait sa vie soi-meme, et on la
fait libre et calme, sinon brillante.
Ton amie, CLEMENCE DE LUX
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