n'y a pas de conquete pour ceux qui ne veulent pas
combattre; il n'y a pas de jouissance pour ceux que la peur inquiete.
Viens dans mes bras sans crainte et sans fausse honte; sois toujours
naive comme l'enfance, o ma vierge! o ma sainte, ne rougis pas de me
dire ton amour. La chastete est nue comme Eve avant sa faute. L'homme
qui a vecu vingt ans soldat au milieu des nations avilies, des moeurs
meprisees, des coutumes foulees aux pieds; qui a traverse l'Europe
bouleversee au milieu d'une societe de vainqueurs grossiers et vains,
sans contracter un vice, sans recevoir une souillure, celui-la peut-etre
est digne de toi, au moins pour quelques annees. Si plus tard la
vieillesse desseche son coeur, si l'egoisme et la triste jalousie
remplacent en lui l'amour et le devouement, cesse de l'aimer, tu en
auras le droit; car ce ne sera plus le Jacques que tu auras connu et a
qui tu auras promis de l'aimer toujours.
Si tout cela ne te rassure pas, si tu exiges de moi d'autres serments,
il m'est impossible de te rien dire de plus. Je suis honnete, mais je ne
suis pas parfait; je suis un homme et non pas un ange. Je ne puis pas
te jurer que mou amour suffira toujours aux besoins de ton ame; il me
semble que oui, parce que je le sens ardent et vrai; mais ni toi ni
moi ne connaissons ce qu'a de force et de duree en toi la faculte de
l'enthousiasme, qui seule fait differer l'amour moral de l'amitie. Je
ne puis te dire que chez moi cet enthousiasme survivrait a de grandes
deceptions; mais la tendresse paternelle ne mourrait pas dans mon coeur
avec lui. La pitie, la sollicitude, le devouement, je puis jurer ces
choses-la, c'est le fait de l'homme; l'amour est une flamme plus subtile
et plus sainte, c'est Dieu qui le donne et qui le reprend. Adieu; ne
dedaigne pas l'amitie de ton vieux Jacques.
XVII.
DE SYLVIA A JACQUES.
Maintenant que vous etes a la veille de vous marier, maintenant que nous
entrons dans une phase nouvelle de ce sentiment sans nom que nous avons
l'un pour l'autre, il faut que vous me disiez la verite sur un des
points les plus importants de ma destinee. Jusqu'ici j'ai du et j'ai pu
respecter votre silence; a present je ne le puis plus. Vous etiez mon
seul appui sur la terre, je vais peut-etre vous perdre; dois-je accepter
encore votre protection et vos dons? Quand vous etiez independant, il
m'importait peu de savoir si vous etiez mon tuteur ou mon bienfaiteur;
a present, vous allez avoir une famille etranger
|