tres.
Fernande souffrira donc avec moi, tu veux que je trace d'avance l'arret
de mort de mon bonheur. Eh bien! sois satisfaite, ame stoique, vigueur
impitoyable! l'un de nous cessera d'aimer, elle ou moi, qu'importe?
celui qui se detachera le dernier ne sera pas le plus malheureux!
Fernande se consolera; elle est sincere et bonne; mais elle est faible,
la pauvre enfant; faible sera sa douleur.
Au milieu de mon amour et de ma joie, il y a une chose qui me dechire et
qui m'indigne contre moi, et contre toi aussi, Sylvia: contre moi, parce
que je n'ai pas songe dans ma derniere lettre a te questionner; contre
toi, parce que tu gardes un dedaigneux silence, comme si tu me croyais
devenu indifferent a ton sort. Si tu avais cette idee-la, Sylvia, je
serais capable de partir a l'heure meme et d'aller te redemander a
genoux ta confiance et ton estime. Oh! dis-moi comment va ton coeur,
infortunee! parle-moi de toi! Comment! depuis trois semaines il n'est
question que de moi, et nous n'avons pas dit un mot de ta nouvelle
situation! La derniere fois que tu m'en as parle, tu semblais assez
satisfaite; mais je ne puis me tranquilliser absolument sur la solitude
ou je t'ai laissee. Cela est bien rude a ton age, Sylvia, et avec ta
force! plus on a d'energie pour resister a la douleur, plus on en a pour
la ressentir. Dis-moi, dis-moi si tu as pris le dessus. Il ne me semble
pas, a la maniere dont tu envisages ma position, que tu aies trouve le
repos de l'esprit. Parle-moi de ce coeur qui me juge et me disseque si
severement, et qui a toutes mes folies, toute mon audace. N'oublie
pas du moins, Sylvia, qu'il y a entre nous un sentiment plus fort que
l'amour, et que tu n'as qu'un mot a dire pour m'envoyer d'un bout du
monde a l'autre.
XI.
DE FERNANDE A CLEMENCE.
Ma chere, ta lettre me fait horriblement mal. D'abord je n'y comprends
rien; qu'est-ce que tu entends par la depravation? Est-ce l'inconstance,
est-ce le besoin de changer d'amour? En ce cas, j'ai une peur affreuse.
Voici la conversation que je viens d'avoir avec le gros capitaine Jean,
dont je t'ai parle; tu jugeras ce qui se passe en moi. Nous avons fait
ce matin une promenade dans le bois de Tilly; nous etions cinq hommes et
cinq femmes, tous en tilbury. Comme il fallait que dans chacune de ces
petites voitures il se trouvat un homme avec une femme pour diriger le
cheval; comme ma mere n'a pas juge convenable que je fisse deux lieues
dans le tilbury de Jacques en
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