t il a dit ces paroles m'a tellement brise le
coeur, que mes pleurs ont recommence a couler malgre moi. Il m'a serree
dans ses bras, et il s'est mis a pleurer aussi. Oui, Clemence, il a
pleure, cet homme ci grave et si accoutume sans doute a voir couler les
larmes des femmes. Les miennes l'ont gagne. Oh! comme son coeur est
sensible et genereux! C'est en ce moment que je l'ai bien senti: il
importe peu que Jacques ait trente-cinq ans. A-t-il pu etre meilleur et
plus digne d'amour a vingt-cinq?
Quand je l'ai vu ainsi, j'ai jete mes bras autour de son cou. "Ne pleure
pas, Jacques, lui ai-je dit; je ne merite pas ces nobles larmes. Je
suis un etre lache et sans grandeur; je ne m'en suis pas aveuglement
rapportee a toi, comme je devais le faire. Je t'ai soupconne, j'ai voulu
fouiller dans les secrets de ta vie passee! Pardonne-moi; ton chagrin
est une punition trop severe.--Laisse-moi pleurer, m'a-t-il dit, et sois
benie pour m'avoir donne cette heure d'attendrissement et d'effusion; il
y a bien longtemps que cela ne m'etait arrive. Ne sens-tu pas, Fernande,
que ce qu'il y a de plus doux au monde, c'est la tristesse qu'on
partage, et que les larmes qui se melent a d'autres larmes sont un baume
pour la douleur? Puisse-je pleurer souvent avec toi, et puisses-tu ne
jamais pleurer seule!"
Oh! c'est fini, qu'on me dise de Jacques tout ce qu'on voudra, je
n'ecoute plus que lui. Ne me blame pas, mon amie, ne me fais pas
souffrir inutilement. Je m'abandonne a mon destin; qu'il soit ce
qu'il plaira a Dieu! pourvu que Jacques m'aime, je suis sure de tout
supporter.
XIV.
DE JACQUES A FERNANDE.
Je voulais vous dire bien des choses l'autre soir, et je n'ai pu parler;
nos larmes se sont melees, nos coeurs se sont entendus. Cela suffit pour
deux amants, mais pour deux epoux ce n'est peut-etre pas assez. Votre
esprit a peut-etre besoin d'etre rassure et convaincu. Je demande a
votre affection une preuve de confiance bien grande, o mon enfant! en
vous priant d'accepter mon nom et de partager mon sort; et je m'etonne
de l'abandon avec lequel, me connaissant aussi peu, vous vous en etes
jusqu'ici rapportee a moi. Il faut que votre ame soit bien noble et bien
genereuse, ou que vous ayez devine que vous n'aviez rien a craindre du
vieux Jacques. Je crois a l'un et a l'autre, a votre confiance et a
votre penetration. Mais je sens bien que jusqu'ici votre coeur a fait
tous les frais de cette securite, et que j'ai ete muet et nonchal
|