e? s'il etait inferieur a tous ces braves butors que tu
aimes tant, et qui ont du moins pour eux la franchise et la loyaute? si
toute cette reserve, que tu prends peut-etre pour de la noblesse dans
les manieres, etait seulement la prudence d'un homme qui cache quelque
vice? Je te dirai naturellement ce que je crains; je m'imagine que
M. Jacques est un de ces hommes d'un certain age qui ont beaucoup de
depravation et beaucoup d'orgueil. Ces gens-la sont tout mystere; mais
on fait bien de ne pas chercher a lever le voile dont ils se couvrent.
Je ne puis me resoudre a t'en dire davantage, d'autant plus qui je me
trompe peut-etre absolument.
X.
DE JACQUES A SYLVIA.
Eh bien! oui, c'est de l'amour, c'est de la folie, c'est ce que tu
voudras, un crime peut-etre! Peut-etre que je m'en repentirai et qu'il
sera trop tard; peut-etre aurai-je fait deux malheureux au lieu d'un;
mais il n'est deja plus temps: le pente m'entraine et me precipite;
j'aime, je suis aime. Je suis incapable de penser et de sentir autre
chose.
Tu ne sais pas ce que c'est qu'aimer pour moi! Non, je ne te l'ai jamais
dit, parce que dans ces moments-la j'eprouve un besoin egoiste de me
replier sur moi-meme et de cacher mon bonheur comme un secret. Tu es le
seul etre au monde avec lequel il m'ait ete possible de m'epancher,
et encore cela ne m'a ete possible qu'en de rares instants. Il en est
d'autres ou Dieu seul a pu etre le confident de ma douleur ou de ma
joie. Aujourd'hui j'essaierai de te montrer mon ame tout entiere et de
te faire descendre au fond de cet abime que tu dis inconnu a moi-meme.
Peut-etre verras-tu que je ne suis pas ce lutteur terrible que tu crois;
peut-etre m'aimeras-tu moins, fiere Sylvia, en voyant que je suis plus
homme que tu ne penses.
Mais pourquoi serait-ce une faiblesse que de s'abandonner a son propre
coeur? Oh! la faiblesse, c'est l'epuisement! C'est quand on ne peut plus
aimer qu'on doit pleurer sur moi-meme et rougir d'avoir laisse eteindre
le feu sacre; moi, je le sens avec orgueil qui se ravive de jour en
jour. Ce matin je respirais avec volupte les premieres brises du
printemps, je voyais s'entr'ouvrir les premieres fleurs. Le soleil de
midi etait deja chaud, il y avait de vagues parfums de violettes et
de mousses fraiches repandus dans les allees du parc de Cerisy. Les
mesanges gazouillaient autour des premiers bourgeons et semblaient les
inviter a s'entr'ouvrir. Tout me parlait d'amour et d'esperance; j'eus
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