ez donc, j'accepte les
conditions." Il s'est enfin decide, et il m'a parle de Jacques a peu
pres dans ces termes:
"Je ne sais pas comment Jacques est avec les femmes; ainsi je ne vois
pas trop a quoi vous servira ce que je vais vous dire. Toutes les femmes
que j'ai vues raffolent de lui, et je ne sache pas qu'aucune de celles
qui l'ont aime ait eu un seul reproche a lui faire. Mais moi, qui l'aime
de tout mon coeur, je lui en veux souvent; pourquoi? je n'en sais trop
rien. Je le trouve sec, fier, mefiant; je suis en colere de ce qu'il
sait si bien se faire aimer en de certains moments. Il y en a d'autres
ou il semble qu'il ne vous connait plus. "Mais qu'as-tu donc,
Jacques?--Rien.--Souffres-tu?--Non.--As-tu quelque chose qui te
contrarie?--Bah!--Mais enfin tu n'es pas dans ton humeur ordinaire?--Si
fait.--Tu veux que je te laisse tranquille?--Oui.--A la bonne heure."
Cela n'est rien, nous avons tous de mauvais moments; mais quand nous
sommes surs d'un ami, nous lui demandons tous les services dont nous
avons besoin. Il n'y a pas de danger que Jacques en demande jamais un
seul, fut-ce un verre d'eau _in articulo mortis_, et cela non pas tant
peut etre par orgueil que par mefiance. Il ne dit jamais la raison de
son silence, mais on s'en apercoit tout de suite a la maniere dont il
vous conseille en pareille occasion. "Ne faites pas cela, dit-il, mettez
l'amitie a l'epreuve le moins que vous pourrez." Vous m'avouerez que
pour un homme dont l'amitie est capable de tous les sacrifices, il y a
une espece de folie superbe a nier l'amitie des autres. C'est injuste,
et cet orgueil-la m'a souvent mis en colere contre lui. Cette
singularite en entraine d'autres. Quand il a rendu un service, il ne
peut pas souffrir qu'on l'en remercie, et il est capable de fuir et
d'eviter longtemps, de quitter meme tout a fait celui qu'il a oblige; il
semble qu'il prenne en aversion la figure des gens qui ont recu de
lui quelque chose. Il y a la-dedans exces de delicatesse, mais il y a
quelque chose de plus encore: il y a la conviction cruelle que tous ceux
a qui il fait du bien doivent devenir ses ennemis. Il a d'autres manies
inexplicables: il n'aime pas qu'on le regarde en de certains moments,
et l'on ne sait jamais pourquoi. Il ne veut pas qu'on le questionne ni
qu'on le soigne dans ses souffrances. Ce qu'il y a de plus deplaisant,
c'est qu'il ne peut pas souffrir qu'on parle de guerre et qu'on raconte
les campagnes qu'on a faites; il s'en va
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