ination en te faisant lire les contes de Perrault et de madame
d'Aulnoy, qu'il qualifiait de livres dangereux. "Il est heureux,
disait-il, que la petite fortune de cette dame ne lui ait pas permis de
donner aux parents adoptifs de l'enfant une somme assez forte pour les
engager a la lui confier entierement. Ils ont mieux aime en faire une
bergere, et, dans l'incertitude de l'avenir de cette pauvre petite, ils
avaient raison, autant pour elle que pour eux. Maintenant la Providence
lui envoie une autre destinee; ce doit etre pour le mieux, car elle est
mere de l'orphelin, et se charge de celui que les hommes abandonnent.
Mais je vous en supplie, Monsieur, me disait-il, surveillez cette
education-la. Vous etes bien jeune pour vous en occuper vous-meme;
mais faites que cette bonne terre recoive le bon grain d'une main bien
entendue. Il y a la le germe d'une vertu peu commune, si on sait le
developper. Qui sait si la negligence ou des lecons imprudentes n'y
feraient pas eclore le vice? Elle sera belle, quoiqu'un peu brulee par
notre soleil, et la beaute est un don funeste aux femmes que la
religion ne protege pas...--Elle est belle, dites-vous? lui
demandai-je.--Parbleu! la voila, me dit le cure en me montrant une
enfant endormie sur l'herbe. Nous l'aurions attendue longtemps au train
dont elle vient a nous."
Oh! que tu etais belle en effet dans ton sommeil, ma Sylvia, ma soeur
cherie! quelle enfant robuste, courageuse et fiere tu me semblas,
etendue ainsi sur la bruyere entre le ciel et la cime des Alpes, exposee
aux rayons ardents du jour et au vent de la mer qui par instants passait
par bouffees et sechait la sueur sur ton large front ombrage de cheveux
humides! Que tes grands cils jetaient une ombre pure sur les joues
halees, plus douces que le velours de la peche! Il y avait de
l'insouciance et de la melancolie en meme temps dans le demi-sourire de
ta bouche entr'ouverte; de la sensibilite et de l'orgueil, pensais-je,
le caractere que cette montagnarde m'a naivement depeint!... J'arretai
le bras du cure, qui voulait te reveiller. Je voulus te contempler
longtemps, chercher scrupuleusement, dans la forme de ta tete et dans
les lignes de ton visage, une ressemblance vague avec mon pere ou avec
moi. Je ne sais si elle existe reellement ou si je l'imaginai, je crus
reconnaitre notre fraternite dans ce grand front, dans ce teint brun,
dans la profusion de ces cheveux noirs qui tombaient en deux longues
tresses jusqu'a ton j
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