t de ton pere, je me suis reserve le droit de le rompre un jour,
si certaines circonstances le rendaient necessaire a ton repos et a ton
honneur. Je crois, en effet, que ce moment est venu; mais vraiment ce
que j'ai a te dire est si peu satisfaisant, si incertain, que je ferais
peut-etre mieux de me taire et de rester ton frere adoptif. Pourtant, si
tu refuses mon appui, il faut parler, il faut rassurer ta fierte, et
te dire que tu ne dois pas mon devouement a la compassion, mais a un
sentiment de devoir, a un lien du sang que mon coeur a accepte et
legitime du jour ou il t'a connue. J'ai la conviction intime que tu es
ma soeur: je n'en ai pas la certitude, je n'en pourrai jamais fournir la
preuve; mais tu peux dire a l'univers entier que je n'ai jamais eu pour
toi que les sentiments d'un frere.
Cette petite image de saint Jean Nepomucene, dont tu as une moitie et
moi l'autre, c'est la toute la preuve sociale de notre fraternite. Mais
elle est auguste et sainte a mes yeux, et mon ame s'y rattache avec
transport. Quand mon pere mourut, j'avais vingt ans; j'etais son ami
plutot que son fils. C'etait un homme bon et faible; j'avais un autre
caractere. Il craignait mon jugement; mais il avait confiance dans
ma tendresse. Depuis plusieurs heures il etait en proie aux lentes
convulsions de l'agonie; de temps en temps il se ranimait, faisait un
effort pour parler, regardait avec inquietude autour de lui, m'adressait
un serrement de main convulsif, et retombait sans force. Au dernier
moment, il reussit a prendre un papier sous son chevet et a me le mettre
dans la main, en disant: "Tu feras ce que tu voudras, ce que tu jugeras
devoir faire; je m'en rapporte a toi. Jure-moi le secret.--Je vous le
jure, repondis-je apres avoir jete les yeux sur le papier, jusqu'au
jour ou mon silence compromettrait la destinee de l'etre que ce secret
concerne. Croyez que j'aurai soin de l'honneur de mon pere." Il fit un
signe affirmatif et repeta: "Je m'en rapporte a toi." Ce furent ses
dernieres paroles.
Voici ce que contenait le papier: trois parcelles detachees; sur l'une
etait ecrit: _Le 15 mai 17.. fut depose a l'hospice des Orphelins,
a Genes, un enfant du sexe feminin, avec le signe de saint Jean
Nepomucene_. Sur la seconde: "J'ai commis ce crime, et voici mon excuse.
Madame de*** avait un autre amant en meme temps que moi. L'incertitude,
la compassion, me deciderent a l'assister dans ses souffrances. Elle
etait seule. L'autre l'avait ab
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