andonnee; mais je ne pus pas me resoudre
a emporter son enfant. D'un commun accord, nous l'avons mis a l'hospice.
Cela acheva de me faire hair et mepriser cette femme. J'ai garde le
signe, afin que si, quelque jour, il m'etait prouve que l'enfant
m'appartint... Mais c'est impossible; je ne le saurai jamais." Le nom de
cette femme est ecrit en toutes lettres de la main de mon pere, et je la
connais. Elle vit, elle passe pour vertueuse; elle en a la pretention du
moins! Je ne le la nommerai jamais, Sylvia, cela ne servirait a rien, et
l'honneur me le defend. Le troisieme papier etait le coupon de l'image
du saint, dont l'autre moitie avait ete attachee a ton cou.
J'etais presque aussi incertain que mon pere avait pu l'etre. Il m'avait
souvent parle de cette madame de ***. Elle avait desole sa vie; je
l'avais vue dans mon enfance; je la detestais. Aller au secours de sa
fille, du fruit d'un double amour, infame et menteur, c'etait une
audace de generosite pour laquelle je me sentis d'abord une invincible
repugnance. Mon pere m'avait dit de faire ce que je jugerais convenable.
J'essayai d'ensevelir ce secret dans l'oubli et de t'abandonner au
destin, pauvre infortunee! Mais il y a une voix du ciel qui parle sur
la terre aux _hommes de bonne volonte_, comme dit naivement le saint
cantique. Du moment ou j'eus resolu de te delaisser, il me sembla que
Dieu me criait a toute heure d'aller a ton secours. Je fis plusieurs
songes ou j'entendais distinctement la voix de mon pere mourant qui me
disait: "C'est ta soeur! c'est ta soeur!" Une fois, je me souviens que
je vis passer un groupe d'anges dans mon sommeil. Au milieu d'eux, il
y avait un bel enfant sans ailes, qui etait pale et qui pleurait. Sa
beaute, sa douleur, me firent une impression si vive que je m'eveillai
au moment ou je m'elancais pour l'embrasser. Je me persuadai que ton
ame m'etait apparue en s'envolant vers les cieux. "Elle est morte, me
disais-je: mais avant de retourner a Dieu, elle a voulu venir me dire:
J'etais ta soeur, et je pleure, parce que tu m'as abandonnee." Je pris
un jour l'image du saint; cette mauvaise petite gravure, prise au hasard
et a la hate sans doute dans quelque livre de prieres, au moment ou
l'on t'abandonna, me fit une impression etrange. C'etait la tout ton
heritage, tous les titres que tu possedais a la tendresse et aux soins
d'une famille; toute une destinee humaine, tout l'avenir d'un pauvre
enfant etait la! Voila le don que tes parents
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