ncapable de passion; je sais qu'il ressent l'amour assez fortement pour
commettre toutes les fautes, mais pas assez pour faire quelque chose de
grand. Enfin je ne l'_estime_ pas, dans l'acception particuliere que toi
et moi donnons a ce mot.
[Illustration: J'etais assise au pied de la montagne.]
Quand j'ai commence a l'aimer, j'ai cheri en lui cette faiblesse qui
me fait souffrir maintenant. Je n'ai pas prevu qu'elle me revolterait
bientot. En verite, j'ai fait ce que tu fais sans doute a present. J'ai
trop compte sur la generosite de mon amour. Je me suis imagine que, plus
il avait besoin d'appui et de conseil, plus il me deviendrait cher en
recevant tout de moi; que le plus heureux, le plus noble amour d'une
femme pour un homme devait ressembler a la tendresse d'une mere pour son
enfant. Helas! j'avais tant cherche la force, et mes tentatives avaient
ete si deplorables! En croyant m'appuyer sur des etres plus grands que
moi, je m'etais sentie si durement repoussee par un froid de glace! Je
me disais: La force chez les hommes, c'est l'insensibilite; la grandeur;
c'est l'orgueil; le calme, c'est l'indifference. J'avais pris le
stoicisme en aversion apres lui avoir voue un culte insense. Je me
disais que l'amour et l'energie ne peuvent habiter ensemble que dans des
coeurs froisses et desoles comme le mien, que la tendresse et la douceur
etaient le baume dont j'avais besoin pour me guerir, et que je les
trouverais dans l'affection de cette ame ingenue. Qu'importe, pensai-je,
qu'il sache ou non supporter la douleur? Avec moi, il n'aura pas a la
connaitre. Je prendrai sur moi tout le poids de la vie. Son unique
affaire sera de me benir et de m'aimer.
C'etait la un reve comme les autres; je n'ai pas tarde a souffrir de
cette erreur, et a reconnaitre que si, dans l'amour, un caractere devait
etre plus fort que l'autre, ce ne devait pas etre celui de la femme. Il
faudrait du moins qu'il y eut quelque compensation; ici il n'y en a pas.
C'est moi qui suis l'homme; ce role me fatigue le coeur, au point que je
deviens faible moi-meme par degout de la force.
[Illustration: Tu gardais les chevres sur le versant des Alpes
maritimes.]
Et pourtant il y a de bien belles choses dans le coeur de cet enfant!
Quels tresors de sensibilite, quelle purete de moeurs, quelle foi naive
dans le coeur d'autrui et dans le sien propre! Je l'aime parce que je ne
connais pas d'homme meilleur. Celui qui est a part de tous les autres ne
m'inspi
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