rrain arrive pour dejeuner, Jacques
va droit a lui, et, comme s'il lui eut offert une prise de tabac,
lui dit: "Lorrain, on dit que vous m'avez insulte; si c'a ete votre
intention en effet, je vous en demande raison.--C'a ete mon intention,
repond Lorrain, et je vous en rendrai raison dans une heure. Je vous
laisse le choix des armes.--A quelles armes faut-il que je me batte? dit
Jacques en revenant allumer sa pipe a la mienne.--A celle que tu connais
le mieux.--Je n'en connais aucune, dit Jacques; je suis une recrue, moi,
Dieu ne m'a pas fait naitre soldat.--Comment, malheureux, lui dis-je,
tu ne connais aucune arme, et tu t'engages avec un malin comme
Lorrain?--Vous m'avez dit de le faire, je l'ai fait, dit Jacques.--Eh
bien! tu sais sabrer, bats-toi au sabre.--Comment s'y prend-on?--Comme
on peut, quand on ne sait pas.--A la bonne heure! dit Jacques; quand
Lorrain sera pret, vous m'appellerez." El il se met a dormir sur une
table. A l'heure dite, mon Lorrain se presente sur le terrain d'un air
persifleur. Il faisait toutes sortes de moqueries, et affectait de
laisser a Jacques tous les avantages. Voila Jacques qui prend un
sabre plus long que lui, qui, avec ses petits bras, le fait voltiger
par-dessus sa tete, et vient sur son homme, tapant a droite, a gauche,
en avant, au hasard, mais tapant dru, battant en grange, ne s'inquietant
pas de parer, mais d'avancer. Quand Lorrain vit cette maniere d'agir,
il recula, et demanda ce que cela voulait dire. "Cela veut dire, lui
repondis-je, que Jacques ne sait pas tirer le sabre, et qu'il fait comme
il peut." Lorrain reprit courage et avanca; mais il recut aussitot sur
l'epaule droite une si bonne entamure, qu'il s'en trouva satisfait et
n'en demanda pas davantage. De cette affaire-la, il resta plus de six
mois sans se battre et sans dessiner."
[Illustration: Il prend alors ou tout de charbon.]
On parla encore longtemps de Jacques, et si je ne craignais de te
fatiguer avec mes recits, je te raconterais de quelle maniere vraiment
heroique Jacques supporta ses horribles souffrances de la campagne de
Russie. Ce sera pour une autre fois, si tu veux; aujourd'hui, ce besoin
de te parler de lui m'a conduite assez loin; il est temps que je te
delivre de mon griffonnage et que j'aille me coucher. Adieu, mon amie.
VI.
Cerlay, pres Tours.
Quand ma souffrance s'endort, pourquoi la reveilles-tu, imprudente
Sylvia! Je sais bien que je n'en guerirai pas: crains-tu que je ne
l'
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