e a moi, vos biens lui
appartiendront legitimement; je n'en veux pas prendre la plus legere
partie si je n'ai des droits sacres a votre sollicitude. D'ailleurs,
cette incertitude m'est penible, et l'obscurite repandue a mes propres
yeux sur nos relations jette dans ma vie des doutes effrayants et
bizarres. Octave lui-meme n'est pas tranquille; il n'a pas assez de
grandeur d'ame pour se fier aveuglement a ma parole, et pas assez
d'energie dans la volonte pour m'accuser franchement. Les commentaires
insolents des curieux de cette ville se reduisent a ceci, que vous avez
ete mon amant, et que vous me faites _un sort_ par delicatesse. Je
meprise ces inconvenients inevitables de mon isolement et de ma
naissance. Habituee de bonne heure a n'avoir pas de famille et a faire
peniblement ma route au milieu d'un monde froid et meprisant, qui
me disait a chaque pas: "Qui etes vous? d'ou venez-vous? a qui
appartenez-vous?" je n'ai jamais compte sur ce qu'on appelle la
_consideration_. J'aurais pu l'acquerir peut-etre en me faisant
connaitre, en me cherchant des amis; mais je n'en sentais pas le besoin:
votre affection me suffisait et remplissait ma vie quand l'amour ne
l'occupait pas.
A present, vous allez peut-etre me manquer; vos nouvelles affections
vont nous separer; il faut que j'essaie de me rattacher plus intimement
a Octave; il faut que je lui pardonne d'avoir doute de moi, ce que je
n'aurais pardonne en aucune autre circonstance de ma vie, et que je
descende a lu rassurer en lui donnant une preuve de mon innocence. Cette
preuve, je suis presque sure qu'un mot de vous peut la fournir; en vain
vous me l'avez refuse, j'ai devine depuis longtemps ce que nous sommes
l'un a l'autre. Tracez-la donc, celle parole, afin qu'elle mette entre
nous une ligne sacree que le soupcon n'ose pas franchir, afin qu'elle
m'autorise a dormir tranquille sous le toit d'une maison qui vous
appartient. Avouez que je ne suis pas la fille d'un de vos amis; avouez
que vous etes mon frere. Vous avez fait un serment au lit de mort de
celui qui m'a donne le jour; vous devez le rompre, il y va de tout le
repos de ma vie. Qu'importe que je sache le nom de mon pere? je ne l'ai
pas connu, je ne peux pas l'aimer; mais je lui pardonne de m'avoir
abandonnee. Quel qu'il soit, je ne le maudirai jamais; je le benirai
peut-etre, s'il est ton pere.
XVIII.
DE JACQUES A SYLVIA.
J'ai beaucoup reflechi a ta demande. Lorsque j'ai fait un serment au lit
de mor
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