on bonheur, tu as eu
tant d'inquietude pour moi! A present sois tranquille et felicite-moi.
Donne-moi souvent de tes nouvelles, et sois sure que je ne le negligerai
plus. Il faut pardonner quelque chose a l'enivrement des premiers jours.
_P. S._ J'ai recu une lettre de ma mere; elle est encore au Tilly, et ne
retournera a Paris qu'a l'entree de l'hiver. Elle me demande si je
suis contente de Jacques, et s'effraie aussi de la solitude ou il m'a
emmenee. Je ne lui ai pas repondu, comme a toi, que l'amour remplissait
cette solitude et me la faisait cherir; elle aurait trouve cela fort
inconvenant. Je lui ai parle des avantages qu'elle estime, des beaux
chevaux que Jacques me donne et des grandes chasses qu'il organise pour
moi, des vastes jardins ou je me promene, des fleurs rares et precieuses
dont regorge la serre chaude, et des presents dont mon mari me comble
tous les jours. Avec tout cela, elle ne pourra plus supposer que je ne
sois pas heureuse.
XX.
DE JACQUES A SYLVIA.
Je m'abandonne comme un enfant aux delices de ces premiers transports
de la possession, et ne veux pas prevoir le temps ou j'en sentirai les
inconvenients et les souffrances; quand il viendra, n'aurai-je pas la
force de l'accepter? Est-il necessaire de passer les heures de repos que
le ciel nous envoie a se preparer pour la fatigue a venir? Quiconque a
aime une fois sait tout ce qu'il y a dans la vie de douleur et de joie,
n'est-ce pas, Sylvia?
Ce que tu demandes est bien antipathique a mon caractere et a l'habitude
de toute ma vie. Raconter une a une toutes les emotions de ma vie
presente, jeter tous les jours un regard d'examen sur l'etat de mon
coeur, me plaindre du mal que j'endure et me vanter du bien qui
m'arrive, me surveiller, me cherir, me reveler ainsi, c'est ce que je
n'ai jamais songe a faire. Jusqu'ici, mes amours ont ete cachees, mes
joies silencieuses; je ne t'ai raconte mes plaisirs que quand je les
avais perdus, et mes chagrins que lorsque j'en etais gueri; encore j'ai
cru faire en cela un grand acte de confiance et d'epanchement; car, avec
toute autre creature humaine, je m'en sentais absolument incapable, et
nul n'a obtenu de ma bouche l'aveu des evenements les plus evidents de
ma vie morale. Cette vie etait si agitee, si terrible, que j'aurais
craint de perdre mes rares bonheurs en les racontant, ou d'attirer sur
moi l'oeil du destin, auquel j'esperais derober furtivement quelques
beaux jours.
Cependant je ne sens
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