l faisait
un temps sombre et beaucoup de vent; je ne vis rien que quatre ou cinq
grands chiens qui avaient fait un vacarme epouvantable autour des roues
de la voiture pendant que nous entrions dans la cour, et qui vinrent se
jeter sur Jacques en poussant des hurlements de joie, des qu'il eut mis
pied a terre. J'etais tout epouvantee de voir ces grandes betes danser
ainsi autour de moi. "N'en aie pas peur, me dit Jacques, et sois bonne
pour mes pauvres chiens. Quel est l'homme qui donnerait de semblables
temoignages de joie a son meilleur ami, en le retrouvant apres une
absence de quelques mois?" Je vis ensuite arriver une procession de
domestiques de tout age qui entourerent Jacques d'un air a la fois
affectueux et inquiet. Je compris que mon arrivee causait beaucoup
d'anxiete a ces braves gens, et que la crainte des changements que je
pourrais apporter au regime de la maison balancait un peu le plaisir
qu'ils pouvaient eprouver a voir leur bon maitre. Jacques me conduisit a
ma chambre, qui est meublee a l'ancienne mode avec un grand luxe. Avant
de me coucher, je voulus jeter un regard sur les jardins, et j'ouvris
ma fenetre; mais l'obscurite m'empecha de distinguer autre chose que
d'epaisses masses d'arbres autour de la maison et une vallee immense
au dela. Un parfum de fleurs monta vers moi. Tu sais comme j'aime les
fleurs, et tout ce qui me passe par la tete quand je respire une rose;
ce vent tout charge de senteurs delicieuses me fit eprouver je ne sais
quel tressaillement de joie; il me sembla qu'une voix me disait: "Tu
seras heureuse ici." J'entendis Jacques qui parlait derriere moi; je me
retournai, et je vis une grande jeune fille de seize ou dix-huit ans,
belle comme un ange et vetue a la maniere des paysannes du Dauphine,
mais avec beaucoup d'elegance, "Tiens, me dit Jacques, voila ta
soubrette; c'est une bonne enfant qui fera son possible pour te bien
servir. C'est ma filleule, elle s'appelle Rosette." Cette Rosette, qui a
une figure si intelligente et si bonne, et qui me baisait la main d'un
petit air caressant et respectueux, fut pour moi une autre circonstance
de bon augure. Jacques nous laissa ensemble et alla s'occuper de payer
les postillons. Quand il revint, j'etais couchee. Il me demanda la
permission de se faire apporter le cafe dans ma chambre; pendant que
Rosette le lui versait, je m'endormis doucement. Je vivrais cent ans que
je ne pourrais oublier cette soiree, ou pourtant il ne s'est rien passe
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