a mentionner, mais qui sont tres-vives, parce
qu'elles m'etaient absolument inconnues. Je veux parler du bien-etre de
la richesse, qui succede pour moi a une vie d'economie et de privations.
Je ne souffrais pas de cette mediocrite, j'y etais habituee; je ne
desirais pas devenir riche, je ne songeais pas plus a la fortune de
Jacques, en l'epousant, que si elle n'eut pas existe; pourtant je ne
crois pas qu'il y ait de la bassesse a m'apercevoir des avantages
qu'elle procure et a savoir en jouir. Ces plaisirs journaliers, ce luxe,
ces mille petites profusions dont je suis entouree, me seraient aussi
amers qu'ils me sont precieux, si je les devais a un contrat avilissant,
ou si je les recevais d'une main orgueilleuse et detestee; mais recevoir
tout cela de Jacques, c'est en jouir deux fois! Il y a tant de grace, je
pourrais meme dire de gentillesse dans ses dons et dans ses prevenances!
Il semble que cet homme soit ne pour s'occuper du bonheur d'autrui, et
qu'il n'ait pas d'autre affaire dans la vie que de m'aimer.
Tu me demandes si cette vie de chateau me plait, si je ne m'en
degouterai pas, si la solitude ne m'effraie point. La solitude! quand
Jacques est avec moi! Ah! Clemence, je le vois bien, tu n'as jamais
aime. Pauvre amie, que je te plains! tu n'as pas connu ce qu'il y a
de plus beau dans la vie d'une femme. Si tu avais aime, tu ne me
demanderais pas si je me trouve isolee, si j'ai besoin des plaisirs et
des distractions de mon age; mon age est fait pour aimer, Clemence, et
il me serait impossible de me plaire a quelque chose qui fut etranger a
mon amour. Quant aux amusements que je partage avec Jacques, je les aime
et je les ai a discretion; j'en ai meme plus que je ne voudrais,
et souvent j'aimerais mieux rester seule avec lui a parcourir
tranquillement les allees de notre beau jardin, que de monter a cheval
et de courir les bois a la tete d'une armee de piqueurs et de chiens.
Mais Jacques a tellement peur de ne pas me divertir assez! Brave
Jacques, quel amant! quel ami!
[Illustration: Quand je suis arrivee ici...]
Tu veux des details sur mon habitation, sur le pays, sur l'emploi de mes
journees; je ne demande pas mieux que de te raconter tout cela, ce sera
te parler de tous les bonheurs que je dois a mon mari.
Quand je suis arrivee ici, il etait onze heures du soir; j'etais
tres-fatiguee du voyage, le plus long que j'aie fait de ma vie. Jacques
fut presque force de me porter de la voiture sur le perron. I
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