use de cela, mais je vous dis que vous faites ces choses-la parce que
vous etes un ange."
Je te demande pardon de te rapporter cette conversation; tu penseras
peut-etre qu'il y a un peu de vanite a te redire les douceurs que me
conte M. Jacques. Et au fait, ma bonne Clemence, je crois bien qu'il y
en a en effet. Je suis toute glorieuse de son amour; moque-toi de moi,
cela n'y changera rien.
Mais n'ai-je pas raison de te rapporter tous ces details, puisque
tu veux connaitre toutes les particularites de mon amour et tout le
caractere de mon fiance? Tu ne me gronderas pas cette fois pour avoir
ete trop laconique. Je continue.
Nous arrivons donc chez la mere Marguerite. La bonne femme fut tout
etonnee de se voir apporter la soupe par un beau monsieur en gants
jaunes. La voila qui me fait ses bavardages accoutumes, qui me demande
au nez de Jacques si c'est la mon mari, qui fait toute sorte de voeux
pour moi, qui me raconte ses maux, qui me parle surtout de son loyer
qu'elle est forcee de payer, et qui me regarde d'un air piteux, comme
pour me dire que je devrais bien lui apporter quelque chose de mieux que
la soupe. Moi, je n'ai pas d'argent; ma mere n'en a guere et ne m'en
donne pas du tout. J'etais triste comme je le suis souvent de ne pouvoir
soulager que la centieme partie des maux que je vois. Jacques avait
l'air de ne pas entendre un mot de tout cela. Il avait trouve sur une
planche une vieille bible mangee des rats, et il semblait la lire avec
attention; tout a coup, pendant que Marguerite parlait encore, je sens
tomber doucement dans la poche de mon tablier quelque chose de lourd;
j'y porte la main, j'y trouve une bourse; je ne fis semblant de rien, et
je donnai a la vieille la petite somme dont elle avait besoin.
Tout allait bien: Jacques avait l'air doux et tranquille; mais voila
qu'en sortant j'eus la mauvaise idee de dire tout bas a Marguerite que
le present venait de Jacques. Alors elle se mit a lui adresser ses
remerciements et ces benedictions du pauvre qui sont vraiment un peu
prolixes, un peu niaises, mais qu'il faut, ce me semble, accepter,
puisque c'est la seule maniere dont le pauvre puisse s'acquitter. Eh
bien, sais-tu ce que fit Jacques? Il fronca deux ou trois fois le
sourcil d'un air d'impatience, et finit par interrompre la litanie de la
vieille en lui disant d'un ton dur et imperieux: "C'est bon; en voila
assez!" La pauvre femme resta interdite et humiliee. Moi, je me sentis
un peu d'humeur
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