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M. de Bussy se contente de remercier sa cousine, madame la marquise de
Sevigne, qui pourra, si elle le juge bon, nous l'amener, ce soir, a
l'audition de l'orgue magique du sieur Raisin.
Cet orgue magique avait fait grand bruit, depuis quelque temps, a
Troyes, en Champagne, et dans les autres villes de la province. C'etait,
disait-on, une invention extraordinaire qui tenait du prodige, et peu
s'en fallut que l'organiste Raisin, qui en etait l'auteur, ne passat
pour sorcier, car l'instrument, qu'il avait invente, et dont il
dirigeait les operations mecaniques, reproduisait, comme en echo, tous
les airs que le musicien executait lui-meme sur le clavier de son orgue,
et cette reproduction de ces memes airs, absolument identique, se
repetait autant de fois qu'on pouvait le desirer et toujours avec la
meme perfection.
Langeli, qui connaissait l'inventeur de l'Orgue magique (c'est ainsi que
cet orgue merveilleux etait nomme), n'avait pas eu de cesse que son
ami Raisin ne fut mande a Versailles, pour se faire entendre, avec son
instrument devant le roi. L'audition devait avoir lieu, ce soir-la, et
toutes les personnes de la cour qui se trouvaient au chateau furent
averties de venir a cette curieuse seance musicale.
L'assemblee etait peu nombreuse, parce que la plupart de ceux qui
devaient assister, peu de jours apres, a la representation du _Ballet
des Arts_, n'etaient pas encore arrives a Versailles. Il n'y avait donc
pas plus de cent personnes, reunies dans un nouveau salon du palais,
lequel, tout resplendissant de dorures et de peintures, etait a
peine abandonne par les habiles ouvriers qui en avaient acheve
l'ornementation, que faisait ressortir le brillant eclairage de mille
bougies.
On avait depose sur une estrade la lourde caisse en bois noirci qui
contenait l'orgue magique, et Raisin, revetu d'un riche habillement
espagnol qu'il avait porte au theatre dans plusieurs comedies,
attendait, debout, a cote de son instrument, l'entree du roi et de la
famille royale. Il etait fort preoccupe du succes de l'epreuve decisive
qu'il allait tenter devant une pareille assemblee; il avait cherche des
yeux, pour s'encourager, sou ami Langeli, et il s'etonnait de ne pas
l'apercevoir dans la salle. Quant a sa vieille mere, la pauvre femme
avait obtenu a grand'peine l'autorisation de rester cachee derriere une
porte, ou elle pouvait tout entendre sans rien voir. Toute sa pensee
se concentrait sur son petit Jacques, qu'elle sava
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