it le bonheur d'arriver au but, sous la
protection de Dieu. L'enfant remercia le cure de toutes ses bontes et
s'engagea tres serieusement a venir le rejoindra en Lorraine.
Valentin entra aussitot en fonctions dans la ferme: on mit sous sa garde
une vingtaine de dindons, qu'il devait conduire tous les jours dans les
patures et qu'il ramenerait tous les soirs a la ferme. On lui donna,
pour sa nourriture de la journee, deux livres de pain et un morceau de
fromage, en lui disant qu'il aurait de quoi boire dans les ruisseaux,
ainsi que ses dindons; on lui remit, pour sa defense contre les renards
et aussi pour celle de ses betes, une petite houlette armee d'un fer
tranchant, avec une corne ou cornet rustique, dont il se servirait pour
appeler a son aide, s'il avait besoin d'avertir les domestiques de la
ferme.
Il avait serre soigneusement sous ses habits delabres le Catechisme et
la carte de geographie, que le bon cure lui avait donnes en partant,
et il etait impatient de s'en servir souvent pour son instruction
elementaire, car il se sentait capable d'apprendre a lire, en peu de
temps, au moyen des notions premieres qu'il avait acquises dans ses
deux lecons. Quant a la geographie, c'etait une science dont il avait
toujours eu l'instinct et qui semblait s'offrir d'elle-meme aux
preferences et aux habitudes de son esprit. La condition infime et
subalterne qu'il avait acceptee sans repugnance lui offrait les deux
biens du monde qu'il appreciait le mieux: la liberte et le repos. Il se
felicitait de pouvoir vivre seul, au milieu des champs, en gardant les
dindons, sans avoir besoin de se trouver en contact avec les hommes.
Ce fut donc dans la solitude, en face des charmants tableaux de la
nature champetre, que Valentin commenca un cours d'etudes generales,
sans autre guide que son bon sens inne et sa raison superieure a son
age, sans autre maitre que son intelligence naturelle et son desir de
s'instruire. Par un effort inoui de volonte et de patience, il apprit a
lire couramment, en concentrant sa pensee sur chaque ligne, sur chaque
page de ce Catechisme qui lui tenait lieu d'Alphabet et de Grammaire. Ce
n'est pas tout: il avait pris un crayon, sur la table du bon cure, avec
quelques feuilles de papier blanc qu'il conserva comme un tresor, pour y
tracer des lettres et des mots bizarrement caracterises par des traits
d'ecriture informes et qu'il imitait tant bien que mal, d'apres le texte
imprime de ce Catechisme dans lequel
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