pour les
heures de travail, en allant deranger la marche de l'horloge du college.
En un mot, il etait sans pitie pour ces deux etres inoffensifs,
respectables par leur age comme par leur habit. Un jour, il enferma le
muet dans le donjon de l'horloge, ou personne ne remarquait d'en bas les
signes desesperes par lesquels le prisonnier reclamait sa delivrance,
tandis que son collegue etait emprisonne dans un souterrain, aussi sourd
que lui, au fond duquel il serait mort d'inanition, si un tonnelier qui
travaillait pres de la ne fut accouru a ses cris.
Le Pere Griffon, le sourd, avait vieilli dans le college que sa robe
noire balayait depuis cinquante ans, sans y avoir ramasse la moindre
instruction. Il etait chauve, louche, et remarquable par son nez de
rubis; il buvait sec et frequentait la cave du _principal_, qui,
disait-on, etait trop bon chretien pour ne pas s'apercevoir que son vin
avait ete baptise. Le Pere Griffon, renomme pour sa dexterite a manier
les verges de bouleau et le fouet a lanieres de cuir, avait besoin de
se donner des forces, qu'il n'eut point tirees d'une nourriture
trop frugale; aussi mangeait-il de la chair de porc, en jambons, en
andouilles et en saucisses, avec d'autant meilleur appetit, qu'il
n'avait pas a observer la religion juive.
Quant au Pere Fremion, le muet, qui ne cultivait pas moins attentivement
les sensualites de l'estomac, il etait de haute taille, maigre, pale et
jaune. Malgre la servilite de ses attributions, il passait pour avoir
accueilli ca et la quelques bribes de latin, que son mutisme le
dispensait de montrer aux ecoliers; il affectait toujours un maintien
grave et solennel, quoiqu'il n'eut pas de plus serieuses affaires que
ses verges et sa cloche. Il est vrai qu'il ne perdait jamais de vue le
cadran de l'horloge, au milieu de ses promenades solitaires dans la
grande cour du college, pendant lesquelles il remuait toujours les
levres, comme s'il se parlait a lui-meme.
[Illustration: Les eleves de cinquieme, au college de Louis-le-Grand,
reunis dans leur quartier, autour du poele.]
Un soir d'hiver de l'annee 1680, les eleves de cinquieme, reunis dans
leur quartier, autour du poele, apres le souper maigre du vendredi,
s'entretenaient tout bas de leurs miseres scolaires, pendant que le
maitre, absorbe dans la lecture d'un livre theologique du P. Sanchez,
negligeait d'epier et d'ecouter leurs conversations, qui degeneraient en
propos factieux. Crebillon maudissait energiq
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