du vol de
l'andouille et du pate, par une belle indigestion, dont il etait
difficile d'accuser la maigre chere du college, c'est-a-dire, les
lentilles, les haricots, les pois-chiches, le fromage et l'eau claire.
Quarante ans apres, Jolyot de Crebillon etait devenu un grand poete
tragique, le successeur de Racine et le rival de Voltaire. Un de ses
amis eut la curiosite de connaitre le jugement que ses premiers maitres
du college de Louis-le-Grand avaient porte sur son compte, dans les
registres secrets ou la Compagnie de Jesus consignait le caractere et la
tendance morale de chacun de ses eleves; on lisait, a l'article relatif
au jeune Crebillon: _Puer ingeniosus, sed insignis nebulo_; horoscope
latin qu'on pourrait traduire ainsi: "Enfant plein d'esprit, mais
insigne vaurien."
LA
VOCATION DE JAMERAY DUVAL
(1704)
Valentin Jameray Duval etait fils unique d'un paysan d'Arthonay en
Champagne, et cet enfant, qui des ses premieres annees se sentait
possede d'un desir immodere de s'instruire, n'avait jamais pu
s'accoutumer a la vie laborieuse, dont son pere lui donnait l'exemple;
il ne se refusait pas aux travaux manuels, par paresse ou par esprit
de contradiction, mais il s'y pretait si mollement, si indifferemment,
qu'on ne pouvait meconnaitre son aversion instinctive pour tout ce qui
etait effort et action physiques, pour tout emploi des forces du corps,
pour toute occupation active et purement materielle. Son pauvre pere, le
plus illettre et le plus rustique des paysans, avait renonce cependant
a lui imposer le moindre labeur, et il prenait meme le parti de cet
enfant, doux et bon de caractere, mais indolent et flegmatique de
temperament, contre sa mere, qui voulait le contraindre, bon gre, mal
gre, a travailler a la terre et a faire du moins, comme elle disait,
oeuvre de ses dix doigts.
--Laisse donc le petit a ses fantaisies, disait le pere; a chacun
ici-bas son lot et sa tache. Valentin ne fera point un laboureur, ni un
vigneron: il n'a ni nerf ni poigne; tout ce qu'il a de vaillant, c'est
dans sa tete. Il semble bati, m'est avis, pour faire un cure.
Valentin, en effet, avait eu de bonne heure l'intelligence ouverte et
disposee a recevoir toutes les impressions exterieures qui font la
connaissance des choses et qui se completent par la reflexion et le
raisonnement. Il ne savait ni lire ni ecrire; il n'avait rien appris
de ce qui s'acquiert dans la frequentation des personnes eclairees et
instru
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