ble, et l'avare fermier
ne lui avait pas donne depuis six mois une seule piece d'argent, lorsque
sa situation changea, par force majeure, sans s'ameliorer.
Un soir, un de ses dindons manquait a l'appel: il le chercha en vain;
un renard l'avait emporte. Il rentra tristement a la ferme et n'osa pas
avouer l'accident arrive a une de ses betes. Il esperait la retrouver,
et il partit, le lendemain, de meilleure heure, pour recommencer
des recherches qui lui porterent malheur. Pendant qu'il s'ecartait
imprudemment de son troupeau de dindons, le renard revint a la charge
et en prit encore un, dont les cris desesperes avertirent trop tard le
malheureux gardien: il eut beau courir apres le renard, en lui jetant
des pierres, il dut revenir a ses dindons, qui faisaient entendre des
plaintes lamentables et qui se rangerent autour de lui, comme pour
l'inviter a les defendre. Il demeura indecis, tout le jour, sur le parti
qu'il avait a prendre; puis, le soir venu, il ramena ses dindons a la
ferme et n'y entra pas avec eux, tant il redoutait la colere de son
patron. Il avait resolu de chercher fortune ailleurs, et il s'en alla
passer la nuit dans la maisonnette roulante du vieux berger, qui le
consola le mieux qu'il put et qui lui offrit de partager avec lui les
chetifs profits de sa bergerie.
--Non, repondit Valentin, j'aurais trop peur de rencontrer le fermier
qui me demanderait compte des deux dindons que le renard m'a voles et
que je serais bien en peine de lui rendre. Demain, je decamperai, au
point du jour, et je serai bientot hors de la portee de ce mechant
maitre, en suivant la route de Langres....
--Bonte divine! s'ecria le berger, chagrin de ce projet qu'il essaya de
combattre: il y a vingt lieues d'ici a Langres.
--Je n'en avais compte que dix-sept, sur la carte que je sais par coeur,
dit l'enfant. Ce n'est rien que vingt lieues a faire: j'arriverai donc a
Langres, en moins de deux jours de marche...
--Oui, bien, reprit le berger, mais, pendant ces deux jours, il faut
manger et se reposer, et tu n'as pas un sou vaillant.
--Oh! dit Valentin, on trouve du pain partout, et l'on couche dans les
granges. Ce n'est pas ce qui m'inquiete.
--Tiens, voici deux ecus, qui pourront payer tes frais de route, objecta
le bon berger, car on ne se nourrit pas gratis en ce monde, et les
bourses ne s'ouvrent pas plus aisement que les coeurs. Il serait plus
sage peut-etre de retourner a la ferme et de dire a ton maitre: "Le
renar
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