adroitement, au milieu de la riviere, que le noeud coulant saisit par
le cou le malheureux qui se noyait et le ramena, presque etouffe,
au bord de la riviere. Valentin avait reconnu son ancien maitre, le
redoutable fermier, et celui-ci, qui avait repris pied dans l'eau, la
corde au cou, reconnaissait aussi son petit gardeur de dindons.
--C'est donc toi qui veux m'etrangler, mauvais sujet? lui cria-t-il
d'une voix haletante.
--Moi, vous etrangler, Monsieur! repondit Valentin, stupefait d'une
pareille accusation: moi, vouloir vous faire du mal, lorsque sans mon
assistance vous alliez perir!
--Je te conseille, petit fourbe, de me donner le change! murmurait le
fermier qui n'etait pas encore sorti de l'eau, mais qui ne courait plus
aucun danger. Tu as voulu m'assassiner, pour m'empecher de te punir,
comme un voleur que tu es!
--Moi, un voleur! repartit Valentin, avec indignation: moi qui viens de
vous sauver la vie!
--Attends-moi, friponneau! s'ecria le fermier, dont la colere n'avait
fait que s'accroitre. Je vais te payer ma vieille dette, voleur de
dindons, et je me servirai, pour ton chatiment, de la corde avec
laquelle tu as essaye de m'etrangler, apres avoir effraye mon cheval,
qui m'a fait tomber dans l'eau. C'est moi qui te pendrai, au premier
arbre de la route.
Valentin eut une telle peur de cette menace, qu'il ramassa son baton et
s'enfuit a toutes jambes, sans regarder derriere lui. Il courut ainsi,
le long de la route, pendant un quart d'heure, et ne ralentit sa course
qu'en perdant haleine. Le fermier n'avait pas songe a le poursuivre et
s'en etait retourne, pour se secher, a la ferme.
Le pauvre enfant se mit a pleurer a chaudes larmes, en pensant a
l'ingratitude et a la mechancete de ce vilain homme, qui l'aurait
recompense de sa bonne action, croyait-il, en le pendant a un arbre.
Il n'eut jamais imagine qu'un chretien put etre aussi injuste et aussi
mauvais a l'egard de ses semblables: il tira de sa poche son Catechisme
et il en parcourut quelques pages, afin de se reconforter, en elevant
son ame a Dieu. Ses yeux s'etaient fixes machinalement sur des maximes
morales et religieuses, que le cure de Monglas avait ecrites sur la
couverture du livre, et, quoiqu'il ne fut pas encore tres capable de
dechiffrer les ecritures faites a la plume, il lut presque couramment
cette maxime, qui lui rendit toute sa confiance dans la Providence:
[Illustration: Valentin lanca si adroitement la corde an milieu de
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