et s'en alla dans la prairie sur la lisiere de la
grande foret, ou le duc de Lorraine Leopold venait souvent chasser avec
les princes et les seigneurs de la cour.
Il faisait une chaleur extraordinaire: les rayons du soleil tombaient
d'aplomb sur la terre dessechee, et les herbes semblaient pretes a
s'enflammer. Les vaches que Valentin menait paitre s'etaient rapprochees
de la foret, pour trouver un peu d'ombre. On voyait passer, dans les
airs, des essaims d'abeilles qui avaient quitte les roches voisines et
qui allaient chercher ailleurs de nouvelles demeures. Valentin prenait
un vif interet a ces emigrations des jeunes abeilles, et il en avait
etudie plus d'une fois les curieux episodes, en admirant le merveilleux
instinct de ces mouches industrieuses. Il vit un de ces essaims, qui
s'abaissait vers le sol avec des bourdonnements confus et qui semblait
vouloir s'arreter quelque part, pour se mettre en groupe et pour
attendre le moment favorable d'achever son voyage. Il suivit a distance,
en s'avancant avec lenteur, l'essaim qui se portait d'un endroit a un
autre, et cherchait la meilleure place ou il pourrait camper et se
reposer; mais l'essaim, apres avoir choisi successivement plusieurs
arbres autour desquels il se rassemblait comme pour tenir conseil,
reprit tout a coup son vol, en s'elevant dans les airs et en
s'eparpillant a travers la foret.
Valentin, a son insu, avait employe plus d'une heure a cette etude de
naturaliste; lorsqu'il revint au paturage, ou il avait laisse les quatre
vaches; il ne les retrouva pas, et, s'imaginant qu'elles etaient entrees
dans le bois pour y prendre le frais et pour paitre a l'ombre, il y
entra aussi, en les appelant par leurs noms et par des sifflements
qu'elles avaient l'habitude d'entendre et de comprendre. Pas le moindre
beuglement ne repondit a ces appels redoubles, que lui renvoyaient
seulement les echos de la foret.
Alors il se rappela l'avertissement que le Pere ermite lui avait
communique la veille, et il se demanda anxieusement si les vaches
n'avaient pas ete volees par ce juif allemand, qu'il regardait comme un
etre imaginaire cree par la peur des patres et des bergers. Les vaches
ne pouvaient etre que dans les bois, puisqu'il ne les avait point
apercues dans la prairie, et ce fut dans les bois qu'il se mit a les
chercher ca et la, en cornant de toutes ses forces. Enfin, il entendit
ou crut entendre loin, bien loin, quelques beuglements qui se turent
presqu'aussitot
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