ui versant un grand verre de vin. Il a vraiment faim, le pauvre diable!
repetait-il, en voyant que l'enfant ne s'etait pas fait prier pour faire
honneur a cette collation inattendue. Depeche-toi de tordre et d'avaler,
mon petit affame et souhaitons le bonsoir a la compagnie.
Valentin n'avait pas eu le temps de satisfaire son appetit, mais son
compagnon de voyage lui permit d'emporter ce qui restait de pain et de
fromage, en l'invitant a boire un second verre de vin. L'enfant, qui
n'en avait pas bu une goutte, depuis son souper chez le cure de Monglas,
eut l'esprit plus eveille que trouble, en finissant a la hate le bon
repas qu'on lui avait fait faire. Il avait encore la bouche pleine, en
montant dans la voiture du colporteur, et il continuait a devorer son
pain et son fromage.
--Et tout cela, ce sont des livres? demanda-t-il au colporteur, quand il
fut assis au milieu des ballots soigneusement ficeles. Quel plaisir on
aurait a lire tout cela! Et comme on serait savant, apres avoir lu tant
de livres!
Il etait en humeur de parler et il parla autant que le voulut son
compagnon deroute, qui lui avait demande le recit de ses aventures et
qui en apprit les details avec interet, car ce compagnon de route, le
pere Lalure, colporteur de livres imprimes a Troyes et a Nancy, d'images
en couleur fabriquees a Epinal, et d'ouvrages de piete vendus dans les
couvents, etait un excellent homme, quoique tres ignare, assez grossier
et souvent ivrogne.
--Ecoute, petit, dit-il a Valentin: tu as besoin de gagner ta vie, et
comme on ne gagne qu'en travaillant, je t'offre de travailler avec moi;
tu sais lire, tu es intelligent et tu seras bientot plus instruit que
moi. Mon metier est d'aller de ville en ville vendre en detail les
livres et les images, que j'achete en gros; le metier n'est pas tres
mauvais, puisqu'il me donne de quoi entretenir ma voiture, nourrir mon
cheval et me nourrir moi-meme, en faisant de jolies economies. L'an
dernier, j'ai pu mettre de cote trois mille francs. Je gagnerais
davantage, si je faisais plus d'affaires, et pour faire plus d'affaires,
il me faut un aide. J'ai pense a toi: si tu veux faire un marche avec
moi et le bien tenir, tu auras du pain cuit pour le reste de tes jours,
et ce pain-la, tu pourras le partager des a present avec ta pauvre
vieille mere, qui en manque peut-etre; tu seras nourri, habille, loge,
voiture, comme le patron, en recevant un ecu par mois pour tes menus
plaisirs, et de plus, t
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