rente ecus d'honoraires a la fin de l'annee. Cela
vaut mieux que de gueuser sur les routes, de n'avoir que des guenilles
sur le corps et de marcher sur les semelles du pere Adam.
Valentin ne repondait pas; il baissait la tete et avait l'air de
reflechir, mais il etait bien resolu a suivre sa vocation et a n'etre
qu'un savant. Il craignait, neanmoins, de blesser et d'irriter le pere
Lalure, en n'acceptant pas ses offres. Il se disait, tout bas, que ce
serait un avantage pour lui de se trouver au milieu des livres, et de
pouvoir lire jour et nuit, s'il en avait le temps; mais il n'eut pas
de peine a se persuader que des relations journalieres avec le cure
de Monglas profiteraient mieux a son instruction generale, que son
association avec cet homme bon et genereux, sans doute, mais ignorant,
depourvu d'education, et incapable de s'elever au dessus de sa naissance
par l'intelligence et le savoir.
--Ce n'est pas tout, mon garcon! ajouta le pere Lalure, pour achever de
le seduire et de le decider; je n'ai ni femme, ni enfant, ni famille, et
par consequent, dans le cas ou je viendrais a m'en aller dans l'autre
monde, tu heriterais de tout ce que j'ai, de ma voiture, de mon cheval,
de mes marchandises et de ma reserve, qui monte bien a neuf ou dix mille
livres...
--Vous avez neuf ou dix mille livres en reserve! s'ecria Valentin,
emerveille de ce qu'il prenait pour une bibliotheque.
--Dix mille livres, ce sont des francs! reprit le colporteur, qui
n'avait garde de confondre une livre monnaie avec un livre imprime; oui,
je possede au moins dix mille livres en bon argent, et tout cela pour
toi, petit, sauf a me faire enterrer chretiennement et a payer quelques
messes pour le repos de mon ame.
--Je suis bien touche de vos propositions, M. Lalure, repondit enfin
l'enfant dont la resolution n'avait pas flechi; vous etes bien bon et
bien honnete: je vous conserverai une eternelle reconnaissance, mais je
veux etre un savant, et pas autre chose. Tant que je serai avec vous, je
vous rendrai de grand coeur tous les services qui sont en mon pouvoir,
je vous aiderai a vendre vos livres et je serai votre devoue serviteur,
jusqu'a ce que nous soyons en Lorraine, ou M. le cure de Monglas
m'attend a l'Ermitage de Sainte-Anne. Je ne reclame de vous qu'une seule
faveur, c'est que vous me permettiez de lire dans vos livres, pendant la
route, et quand vous n'aurez pas besoin de mes services.
--Je suis fache de n'avoir pas reussi a fai
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