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college de Louis-le-Grand, que les jesuites eux-memes n'en etaient pas
tous exempts. Le Pere Griffon et le Pere Fremion contribuaient aussi a
la perpetuer, dans les traditions du college, par des recits ridicules
qu'ils faisaient aux eleves, de la meilleure foi du monde. Quand
ceux-ci, aux heures de recreation, interrogeaient les deux vieux
correcteurs sur l'histoire redoutable du Moine-bourru et parvenaient a
les mettre sur ce chapitre inepuisable, le Pere Griffon narrait avec
emotion les faits et gestes de cette espece de demon, et son collegue
muet approuvait, d'un signe de tete ou d'un signe de croix, ces
terribles recits, tant il avait lieu de redouter le Moine-bourru, qu'il
accusait de torts graves a son egard, car il montrait une cicatrice
qu'il avait au front, et faisait raconter, par son compere, qu'une belle
nuit de Noel, le Moine-bourru avait voulu le poignarder, pour l'empecher
de sonner la messe de l'Aurore. Le Pere Griffon possedait donc, sur le
Moine-bourru, un repertoire d'aventures et de temoignages, capables au
moins d'inspirer le doute au plus incredule; ces aventures fantastiques,
il les amplifiait de plus en plus, depuis quarante ans qu'il les
prodiguait sans cesse a l'insatiable curiosite de ses jeunes auditeurs,
qui fremissaient d'horreur, en se serrant autour de lui. L'orateur,
que la peur gagnait a son tour, finissait par en perdre la voix, aussi
completement que le Pere Fremion, qui avait accompagne d'une effrayante
pantomime, en sa qualite de muet, les recits de son collegue, qu'il
n'entendait pas, mais qu'il savait par coeur.
Crebillon, le seul qui dans le college ne croyait pas au diable, avait
ose traiter de visionnaires les deux innocentes victimes des malices du
Moine-bourru.
--Visionnaires! murmurait le pere Griffon, avec indignation. Ce mauvais
garcon ne croit a rien; il mourra dans la peau d'un heretique.
Le jour suivant, ce fut le pere Fremion, qui dut remplacer le pere
Griffon dans les fonctions de sonneur. Il avait, comme tout le monde,
blame son confrere d'un oubli qu'il croyait bien avoir constate
lui-meme. Il se rendit a son poste, avant quatre heures du matin, bien
determine a faire retentir un carillon, qui ne put etre revoque en
doute, meme par les sourds; il ouvrit donc l'armoire, pour empoigner la
corde qu'il cherchait a tatons, sans la trouver et sans la voir dans
l'obscurite.
--Encore un maudit tour du Moine-bourru! pensait le sonneur. Pourvu
qu'il n'ait p
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