re de toi un bon marchand de
livres, dit le colporteur: on s'enrichit plutot en vendant des livres,
qu'en les lisant. Eh bien! tu peux lire maintenant a ton aise tout ce
qu'il y a dans ma voiture. Aie l'oeil seulement sur le cheval, qui a
l'habitude du chemin et qui va son petit train, la bride sur le cou.
Bien du plaisir, Monsieur le liseur! Moi, je dors!
Il s'endormait deja, en parlant, et il ne tarda pas a dormir d'un
profond sommeil. Valentin, au contraire, n'avait jamais ete mieux
eveille; pour la premiere fois de sa vie, il se trouvait au milieu des
livres et il ouvrit tous ceux qui etaient a sa portee, comme pour faire
connaissance avec eux: il en lisait les titres et il en parcourait
quelques pages. Le hasard lui mit d'abord entre les mains des ouvrages
traitant de matieres qui ne lui etaient pas tout a fait etrangeres,
et qui se rapportaient a ses longs entretiens avec le vieux berger de
Monglas. C'etaient surtout ces petits livres que l'imprimerie de
Troyes repandait par milliers chez le peuple des campagnes: le celebre
_Calendrier des Bergers_, la _Grande pronostication des laboureurs_, la
_Chasse du loup_, le _Parfait Bouvier_, etc. Valentin se delectait a
feuilleter ces volumes, et sa passion pour la lecture se manifestait
spontanement par l'amour des livres. Il eut voulu deja connaitre tout ce
qu'il y avait de livres imprimes dans la carriole du colporteur.
Celui-ci dormait toujours, comme il en avait l'habitude, en se confiant
a la marche sure et a la direction routiniere de son cheval. Valentin
continua ses lectures, sans interruption et sans distraction, tant
qu'elles furent favorisees par le jour, qui allait diminuant et qui
finit par s'eteindre tout a fait. Il repassa d'abord dans son esprit ce
qu'il avait lu, et il occupa sa memoire des sujets divers qu'il avait
abordes tour a tour dans cette premiere excursion a travers les livres;
puis, ses idees devinrent moins nettes et moins suivies: de la reflexion
il passa dans la reverie et tomba par degres dans le sommeil.
Ce fut le pere Lalure qui s'eveilla le premier en sursaut, au bruit d'un
grognement effare de son cheval, qui secoua rudement la voiture par une
triple ruade et commenca une course folle, comme s'il s'emportait a
l'aventure. Le colporteur n'eut que le temps de serrer les renes et de
maintenir le cheval sur la chaussee, au moment ou il se jetait hors de
la route, au risque de se precipiter dans un ravin. Il faisait pleine
nuit et l'on
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