l'ombre qui semblait a chaque instant s'epaissir autour
d'elle, car la nuit approchait, et la pauvre jeune fille pouvait prevoir
que, d'un moment a l'autre, elle se trouverait arretee, sans savoir ou
elle serait, au milieu des tenebres.
C'est alors qu'elle se vit au pied d'un grand escalier, qui paraissait
aboutir aux etages superieurs. Elle ne songea plus a descendre, pour
arriver a un passage qui la ramenerait a la grande cour des Communs;
elle se preoccupa plutot de monter dans les Communs, ou elle aurait
chance de rencontrer un des gens du chateau, qui l'aiderait a regagner
son carrosse. Malheureusement, c'etait l'heure du souper, et elle ne
trouva pas sur son chemin un seul domestique. Enfin, apres bien des
tours et des detours, elle parvint, quand le jour lui faisait defaut, a
gagner un corridor eclaire par une lampe. Elle se crut sauvee, d'autant
plus qu'elle distinguait, a l'extremite de ce corridor, une assez vive
clarte qui venait d'une porte entr'ouverte.
Elle se dirigea rapidement vers cette porte et entra dans une grande
chambre, ou elle entendait une voix etouffee et inintelligible,
accompagnee de petits coups repetes, qu'on frappait contre les parois
d'une caisse sonore. La personne qui occupait cette chambre ne devait
pas etre loin, car elle avait laisse sur une console deux grosses
bougies allumees. Au milieu de la piece, il y avait une espece de coffre
immense, dont la forme etait assez inusitee, pour que mademoiselle de
Sevigne se rappelat avoir vu, le jour meme, ce coffre bizarre, porte sur
un haquet, que trainait un cheval et que conduisait un homme en costume
de comedien, celui-la meme avec qui le jeune marquis de Sevigne s'etait
pris de querelle sur la route de Versailles. Ce souvenir imprevu
n'annoncait rien de bon a mademoiselle de Sevigne, qui n'avait rien de
plus presse que de sortir de cette chambre, mais elle en fut empechee
par l'approche de deux personnes qui allaient y rentrer, en parlant
a demi-voix. En meme temps, les petits coups, qu'elle avait entendus
resonner comme dans un meuble, retentirent de nouveau, et la voix qui
les accompagnait sourdement devint plus distincte et plus grondeuse.
--Voulez-vous donc que je meure la-dedans! criait la voix. J'aimerais
mieux etre enferme dans un cachot, que dans cette boite! Pere,
delivre-moi, pour l'amour de Dieu! J'ai grand besoin de respirer un peu,
avant de commencer mes exercices. Je me passerai de nourriture, bien
que je n'aie ni bu ni
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