entretenue et semee d'ornieres profondes,
etait constamment obstruee par des chariots de toutes sortes qui se
dirigeaient lentement sur Versailles, ou ils voituraient des pierres, du
platre et des bois, pour la construction du chateau; des rocailles, des
tuyaux de plomb et des statues, pour les jardins. Le cocher de madame de
Sevigne avait besoin de toute sa prudence pour eviter des chocs et des
accidents, que les charretiers ne songeaient pas a lui epargner, et
ses plaintes, ses coleres, ne servaient qu'a rendre sa position plus
mauvaise et plus difficile vis-a-vis de ces gens brutaux et mechants,
qui n'ecoutaient ni menaces, ni prieres. Le jeune marquis essaya de
leur adresser la parole, mais il ne recueillit, de leur part, que des
railleries, des injures et des eclats de rire. Charles de Sevigne, qui
etait tout fier de se voir habille en gentilhomme, les menacait de se
plaindre a Sa Majeste.
[Illustration: Le marquis de Sevigne se querelle avec les charretiers,
sur la route de Versailles]
--Monseigneur, lui repondit d'un air moqueur le voiturier auquel il
s'adressait, Sa Majeste sera bien aise d'apprendre que nous ne cessons,
ni jour ni nuit, d'apporter des materiaux sur les chantiers de
Versailles, pour achever les travaux de la batisse. Il y a, tous les
jours, deux mille charrois qui passent et repassent, pour le service
du roi, sur cette route, ou les carrosses ont grandement tort de
s'aventurer.
En ce moment, passait, sur la route, a travers un lac de boue liquide,
une bien etrange voiture, qui n'etait autre qu'un petit haquet, traine
par un petit cheval, qui galopait a fond de train, en faisant jaillir
autour de lui un deluge de boue. Ce baquet etait charge d'une espece de
bahut, enveloppe de vieilles couvertures et de toiles de matelas,
lequel oscillait a chaque cahot de la charrette, en rendant des sons
metalliques et des murmures plaintifs, auxquels se melait une voix
humaine. Ce singulier vehicule avait pour conducteurs une vieille femme,
qui pouvait etre prise pour une bohemienne, a cause d'un costume de
theatre aux couleurs eclatantes, qu'elle cachait sous un vieux manteau a
capuchon rapiece, et un jeune garcon, a la mine fine et malicieuse, qui
portait aussi un vieux costume de toile a carreaux bleus et rouges, sur
un veritable deguisement theatral en velours, rehausse de passementeries
d'or. Il avait sur la tete une calotte en cuir noir, qu'il couvrait d'un
immense chapeau de feutre a larges bords
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