que
la malade but a longs traits en benissant la main qui la lui avait
presentee. Mademoiselle de La Garde recommanda doucement a cette pauvre
femme de ne plus se fatiguer a fournir des explications que sa fille
donnerait pour elle, et aussitot l'enfant raconta naivement les
evenements qui l'avaient amenee, avec sa mere, dans l'interieur du
chateau, sans y etre autorisee par personne.
--Nous sommes de la Champagne, dit-elle; nous habitions dans le faubourg
de Troyes, ou mon pere exercait le metier de tonnelier: il y a quinze
jours, une maladie se declara dans le pays; bien du monde en mourut,
mon pere un des premiers; alors, maman, se voyant sans ressources, et
craignant aussi que je devinsse malade, partit avec moi pour Paris, ou
j'ai un oncle qu'on dit assez riche. C'etait chez lui que nous avions
le projet d'aller; mais, comme nous n'avions pas le moyen de louer des
places dans le carrosse public, nous faisions la route a pied; et maman,
de lassitude et de chagrin a la fois, eut la maladie, dont mon
pere etait mort: elle croyait mourir aussi dans l'endroit ou elle
s'arreterait, car nous etions sur le grand chemin, sans asile et sans
argent. Elle fit de grands efforts, souffrante comme elle etait, et nous
arrivames enfin a un gros village; les mechantes gens de ce village nous
refuserent l'hospitalite et nous menacerent meme de nous maltraiter, si
nous ne nous eloignions pas: ils disaient que nous avions la peste!
[Illustration: Un soir, comme la neige tombait dru, la veuve et sa fille
s'abriterent dans une masure.]
--La peste! interrompit mademoiselle de La Garde.
--La peste! repeta Therese, qui s'abandonna un moment a des terreurs
plus reelles que les precedentes.
--Ce n'etait pas la peste, puisque nous n'en sommes pas mortes, dit
l'enfant. Nous nous eloignames pour chercher gite ailleurs; mais,
partout ou nous allions, on nous accueillait de meme, en nous fermant
les portes et en nous criant de passer notre chemin. La maladie de
maman augmentait, et il fallut toute la tendresse qu'elle me porte pour
l'empecher de rendre l'ame dans les champs. On nous criait de ne pas
aller a Paris, parce que nous n'y serions pas recues. Je ne sais
quel chemin nous suivimes: nous marchions a l'aventure, a travers la
campagne; nous errions dans les bois. Les journees etaient horribles,
les nuits plus horribles encore! Et la faim! et le froid!... J'ai mange
de l'herbe, Mesdemoiselles!... Maman ne prenait que de l'eau ou de
|