eigne l'anatomie, par exemple,
qui est la science physique correspondant le plus exactement a la morale,
ait uniquement a tenir compte des deformations qu'une decheance plus ou
moins generale inflige au corps de l'homme? Il importe qu'il parte d'un
corps sain et bien constitue, comme il importe que le moraliste qui
s'efforce de regarder par dela l'heure presente, parte d'une ame heureuse,
ou qui du moins a ce qu'il faut pour l'etre, hormis la conscience
suffisante.
Nous vivons au sein d'une grande injustice, mais il n'y a, je pense, ni
indifference ni cruaute, a parler parfois comme si cette injustice n'etait
plus, sans quoi l'on ne sortirait jamais de son cercle.
Il faut bien que quelques-uns se permettent de penser, de parler et d'agir
comme si tous etaient heureux; sinon, quel bonheur, quelle justice, quel
amour, quelle beaute, trouveraient tous les autres le jour ou le destin
leur ouvrira les jardins publics de la terre promise? On peut dire, il est
vrai, qu'il conviendrait d'aller d'abord "au plus presse". Mais aller "
au plus presse" n'est pas toujours le parti le plus sage. Mieux vaut
souvent aller tout de suite "au plus haut". Si les eaux envahissent la
demeure du paysan hollandais, la mer ou la riviere voisine ayant perce la
digue qui defend la campagne, le plus presse, pour lui, sera de sauver ses
bestiaux, ses fourrages et ses meubles, mais le plus sage, d'aller lutter
contre les flots, au sommet de la digue, et d'y appeler tous ceux qui
vivent sous la protection des terres ebranlees.
L'humanite a ete jusqu'ici comme une malade qui se tourne et se retourne
sur son lit pour trouver le repos, mais cela n'empeche pas que les seules
paroles veritablement consolantes qui lui aient ete dites, l'ont ete par
ceux qui lui parlaient comme si elle n'eut jamais ete malade. C'est que
l'humanite est faite pour etre heureuse, comme l'homme est fait pour etre
bien portant, et quand on lui parle de sa misere, au sein meme de la misere
la plus universelle et la plus permanente, on a l'air de ne lui dire que
des paroles accidentelles et provisoires. Il n'y a rien de deplace a
s'adresser a elle comme si elle se trouvait toujours a la veille d'un grand
bonheur ou d'une grande certitude. En realite elle s'y trouve par son
instinct, dut-elle ne jamais atteindre le lendemain. Il est bon de croire
qu'un peu plus de pensee, un peu plus de courage, un peu plus d'amour, un
peu plus de curiosite, un peu plus d'ardeur a vivre suffira
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