ue le destin a pu s'en rendre maitre.
Il est vrai; et c'est la consolation du juste, du heros et du sage. Le
destin n'a d'empire sur eux que par le bien qu'il les oblige de faire. Les
autres hommes sont comme des villes aux cent portes ouvertes par lesquelles
il penetre; mais le juste est une ville fermee qui n'a qu'une porte de
lumiere; et le destin ne peut l'ouvrir que lorsqu'il parvient a contraindre
l'amour a frapper a cette porte. Il fait faire ce qu'il veut aux autres
hommes; et le destin, lorsqu'il est libre, ne veut guere que le mal; mais
s'il songe a regner sur le juste, il faut aussi qu'il songe a faire le
bien. Ce n'est plus a l'aide de tenebres qu'il attaque. Le juste est a
l'abri dans sa lumiere; et seule une lumiere plus forte peut le vaincre. Il
faut alors que le destin devienne plus beau que sa victime. Il place les
hommes ordinaires entre une douleur et le malheur des autres; mais il ne
peut saisir le heros et le sage qu'entre une souffrance personnelle et le
bonheur d'autrui. Il assaille les premiers a l'aide de tout ce qui est
laid; il ne peut assaillir les derniers qu'a l'aide de ce qu'il y a de plus
beau sur la terre. Il a des milliers d'armes contre les uns, et les pierres
memes du chemin se transforment en armes; il n'a qu'un glaive irresistible
pour attaquer les autres; et c'est le glaive ardent du sacrifice et du
devoir. L'histoire d'Antigone epuise toute l'histoire de l'empire du destin
sur le sage. Jesus qui meurt pour nous, Curtius qui se jette dans le
gouffre, Socrate qui refuse de se taire, la soeur de charite qui s'eteint
au chevet du malade, et l'humble passant qui perit pour sauver le passant
qui perit, ont ete obliges de choisir, et portent a la meme place la
blessure glorieuse d'Antigone. Certes, il y a de beaux perils aussi dans la
lumiere, et il est dangereux d'etre sage pour ceux qui craignent de se
sacrifier; mais ceux qui craignent de se sacrifier, lorsque l'heure
genereuse est sonnee, ne sont peut-etre pas bien sages....
XLVIII
Quand nous prononcons le mot "Destin", il n'est personne qui ne se
represente quelque chose de sombre, d'affreux et de mortel. Au fond de la
pensee des hommes, il n'est que le chemin qui conduit a la mort. Meme, la
plupart du temps, il n'est autre chose que le nom que l'on donne a la mort
qui n'est pas encore arrivee. Il est la mort envisagee dans l'avenir et
l'ombre de la mort sur la vie. "Nul homme n'echappe a son destin",
disons-nous, par ex
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