c'est toujours le plus haut sommet qui a raison, qu'il faut
toujours finir par y monter de force, apres avoir perdu un temps precieux
sur la plupart des eminences intermediaires? Qu'est-ce qu'un sage, un
heros, un grand homme, sinon celui qui est alle tout seul, avant les
autres, sur le plateau desert que tous apercevaient plus ou moins
clairement?
XXI
Nous ne pretendons pas qu'il eut fallu que Louis XVI eut ete un homme de
ce genre, un homme de genie, bien que ce soit presque un devoir d'avoir du
genie quand on tient dans ses mains la destinee d'un grand nombre de ses
freres. Nous ne pretendons pas davantage que les meilleurs de nous eussent
evite ses erreurs et par consequent ses malheurs. Non; mais une chose est
certaine, c'est qu'aucun de ces malheurs n'avait une origine surhumaine,
n'etait surnaturellement ou trop mysterieusement inevitable. Ils ne
descendaient pas d'un autre monde; ils n'etaient pas envoyes par un Dieu
monstrueux, incomprehensible et capricieux. Ils etaient nes d'une idee de
justice meconnue, d'une idee de justice qui s'etait reveillee en sursaut
dans la vie, mais qui n'avait jamais dormi dans la raison de l'homme. Et
qu'y a-t-il au monde de plus rassurant, de plus pres de nous, de plus
profondement humain qu'une idee de justice? Il etait regrettable, au point
de vue de la tranquillite de Louis XVI, que cette idee se fut precisement
reveillee sous son regne; c'est a peu pres tout ce qu'il pouvait reprocher
au destin; et la plupart des reproches que nous lui faisons d'ordinaire ont
la meme valeur.
Pour le reste, il est tres legitimement permis de supposer qu'un seul acte
d'energie, de loyaute totale, de sagesse desinteressee et noblement
clairvoyante eut pu changer le cours des evenements. Si la fuite a
Varennes, qui etait cependant un acte de duplicite et de faiblesse
coupable, avait ete organisee d'une maniere un peu moins puerile, un peu
moins absurde, comme aurait pu l'organiser tout homme habitue a la vie
reelle, il n'est pas douteux que Louis XVI ne serait pas mort sur
l'echafaud. Etait-ce un dieu ou son aveugle complaisance pour
Marie-Antoinette qui le poussait a confier au sot, vaniteux et maladroit de
Fersen les preparatifs et la direction du desastreux voyage? Etait-ce une
force pleine de grands mysteres ou sa legerete, son insouciance, son
inconscience, je ne sais quel abandon apathique et en meme temps
provocateur a son etoile, comme les nonchalants et les faibles en ont
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