s nette, alors meme qu'elle explore son domaine, sort a chaque
pas de ce domaine.
Cependant, c'est par l'intelligence que nous commencons d'embellir ce
desir, le reste ne depend pas entierement de nous; mais ce reste ne se met
en mouvement que si l'intelligence lui a donne le branle. La raison, qui
est la fille ainee de notre intelligence, doit s'asseoir sur le seuil de
notre vie morale, apres avoir ouvert les portes souterraines derriere
lesquelles sommeillent prisonnieres les forces vives et instinctives de
notre etre. Elle attend, sa lampe a la main; et sa seule presence rend ce
seuil inabordable a tout ce qui n'est pas encore conforme a la nature de la
lumiere. Plus avant, dans les regions ou ses rayons ne penetrent pas, la
vie obscure continue. Elle ne s'en inquiete point, elle s'en rejouit au
contraire. Elle sait qu'aux yeux du Dieu qu'elle desire, tout ce qui n'a
pas franchi l'arcade lumineuse, songe, pensee, acte meme, ne peut rien
ajouter, ne peut rien enlever a l'etre ideal qu'elle forme. Le devoir de
sa flamme est d'etre aussi claire, aussi etendue que possible, et de ne pas
abandonner son poste. Elle n'hesite pas tant qu'il n'y a qu'une agitation
d'instincts inferieurs et de tenebres. Mais il arrive que parmi les
captives qui s'eveillent, des forces plus eclatantes qu'elle-meme
s'approchent de l'entree. Elles repandent une lumiere plus immaterielle,
plus diffuse, plus incomprehensible que celle de la flamme nette et ferme
que protege sa main. Ce sont les puissances de l'amour, du bien
inexplicable, d'autres plus mysterieuses, plus infinies encore qui
demandent a passer. Que faire? Si elle s'est assise sur le seuil, alors
qu'elle n'avait pas acquis le droit de s'y asseoir, parce qu'elle n'avait
pas encore eu le courage d'apprendre qu'elle n'etait pas seule au monde,
elle se trouble, elle a peur, elle referme les portes; et si jamais elle
se resout a les rouvrir, elle ne retrouve qu'une poignee de cendres legeres
au bas des marches sombres. Mais si sa force ne tremble pas, parce que tout
ce qu'elle n'a pu apprendre lui a du moins appris qu'aucune lumiere n'est
dangereuse; que dans la vie de la raison on peut risquer la raison meme
dans une clarte plus grande, d'ineffables echanges auront lieu, de lampe a
lampe, sur le seuil. Des gouttes d'une huile inconnue se meleront avec
l'huile de la sagesse humaine; et quand les blanches etrangeres seront
passees, la flamme de sa lampe, a jamais transformee, s'elevera plus
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