tte regle que je formule ainsi? je n'en sais rien
moi-meme. Elle me parait humaine et necessaire, voila tout; et je n'en
saurais donner d'autres raisons que des raisons sentimentales. Mais les
raisons sentimentales sont parfois les moins meprisables. Et si
j'atteignais un sommet d'ou cette loi ne me paraitrait plus utile,
j'ecouterais l'instinct secret qui me dirait de ne pas m'arreter, de
m'elever encore, jusqu'a ce que j'apercoive de nouveau toute son utilite.
V
Apres cette introduction generale, parlons plus particulierement de
l'influence que la sagesse peut avoir sur notre destinee. Et puisque
l'occasion s'en presente, il est peut-etre utile de faire observer, des
l'abord, qu'on chercherait en vain une methode bien rigoureuse dans ce
livre. Il n'est compose que de meditations interrompues, qui s'enroulent
avec plus ou moins d'ordre autour de deux ou trois objets. Il ne pretend
persuader personne, il n'entend rien prouver. Au demeurant, les livres
n'ont guere, dans la vie, l'importance que la plupart des hommes qui les
ecrivent ou qui les lisent veulent bien leur accorder. Il suffirait de les
ecouter dans l'esprit ou l'un de mes amis, qui est un grand sage, ecoutait
un jour le recit des derniers instants de l'empereur Antonin le Pieux.
Antonin le Pieux qui, a plus juste titre encore que Marc-Aurele, peut etre
considere comme l'homme le meilleur et le plus parfait que la terre ait
porte, car a toute la sagesse, a toute la profondeur, a toute la bonte, a
toutes les vertus de son fils adoptif, il joignait je ne sais quoi de plus
viril, de plus energique, de plus pratique, de plus simplement heureux et
de plus spontane, qui le rapprochait davantage de la verite quotidienne,
Antonin le Pieux, etendu sur son lit, attendait la mort, les yeux voiles de
larmes involontaires et les membres baignes des pales sueurs de l'agonie. A
ce moment, le chef des gardes du palais entra dans sa chambre, pour lui
demander, selon l'usage, le mot d'ordre. _AEquanimitas, egalite d'ame_,
repondit-il en tournant la tete du cote de l'ombre eternelle. Il est beau
d'aimer et d'admirer cette parole, disait mon ami. Il est plus beau encore,
ajoutait-il, de savoir sacrifier sans que personne le remarque, sans que
soi-meme on songe a s'en apercevoir, le temps que le hasard nous accorde
pour l'admirer, a la premiere venue des petites oeuvres utiles et
simplement vivantes que le meme hasard offre sans cesse a la bonne volonte
de notre coeur.
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