aison, quelle vie fut plus
intimement, plus noblement heureuse que celle de Caton?
Tout ce qui ennoblit notre existence; tout ce que nous respectons en
nous-memes, les motifs de notre vertu, et ces bornes sentimentales que tout
homme impose a ses vices et a ses crimes memes, semblent peu de chose en
effet, lorsque notre raison nous en demande compte. Pourtant, c'est la que
se trouvent les lois de la vie de chaque etre.--Et quel homme pourrait
vivre sans se soumettre a plusieurs de ces verites qui ne sont pas soumises
a la raison? Jusqu'aux plus miserables obeissent a l'une d'elles, et plus
le nombre est grand de celles auxquelles il obeit, moins l'homme est
miserable. Celui qui a assassine vous dira: J'assassine il est vrai, mais
je ne vole pas. Celui qui a vole, vole, mais ne trahit point; et celui qui
trahit, ne trahit pas son frere. Ainsi, chacun se refugie dans la derniere
beaute morale qui lui reste. Le plus dechu des hommes a toujours une sorte
de lieu sacre, une sorte de retraite dans son ame, ou il retrouve un peu
d'eau pure, et ou il va puiser la force necessaire pour continuer de vivre.
Ici, non plus qu'ailleurs, ce n'est guere la raison qui console, et elle
doit s'arreter au seuil de la derniere retraite du voleur ou du traitre,
comme elle s'arrete au seuil du sacrifice d'Antigone, de la resignation de
Job et de l'amour de Marc-Aurele. Elle s'arrete, elle ne se rend plus
compte, elle n'approuve guere, et neanmoins, elle sent que si elle se
revoltait, elle se revolterait contre la lumiere dont elle n'est que
l'ombre visible, car elle est au milieu de ces choses comme un homme qui se
tiendrait en plein soleil. Il voit son ombre qui s'etend a ses pieds, il
peut la faire avancer ou reculer, et en modifier les contours selon qu'il
se baisse ou se releve, mais cette ombre est la seule chose qu'il domine,
qu'il possede et a laquelle il puisse commander dans la lumiere
eblouissante qui l'entoure. Notre raison s'agite ainsi dans une lumiere
superieure; et l'ombre qu'elle y forme n'a pas d'action sur cette splendeur
immobile. Si loin que se trouvent l'un de l'autre Marc-Aurele et le
traitre, ils puisent a la meme source l'eau mystique qui fait vivre leur
ame; et cette source n'est pas dans leur intelligence.
Il est assez etrange que toute notre vie morale soit situee ailleurs que
dans notre raison; car celui qui ne vivrait que selon cette raison serait
le plus miserable des etres. Il n'est pas une vertu, pas un acte d
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