emple, en songeant a la mort qui attend le voyageur au
detour de la route. Mais si le voyageur rencontre le bonheur, nous ne
parlons plus du destin, ou nous n'en parlons plus comme du meme dieu. Et
cependant, ne peut-il advenir que celui qui chemine par la vie rencontre un
bonheur plus grand que le malheur et plus important que la mort? Ne peut-il
advenir qu'il rencontre un bonheur que nous ne voyons pas, et de sa nature
le bonheur n'est-il pas moins manifeste que le malheur, et ne devient-il
pas moins visible a mesure qu'il s'eleve? Mais nous n'en tenons aucun
compte. Si c'est une aventure miserable, tout le village, toute la ville
accourt; mais si c'est un baiser, un rayon de beaute qui vient frapper
notre oeil, ou un rayon d'amour qui vient eclairer notre coeur, personne
n'y prend garde. Et pourtant un baiser peut etre aussi important a la joie
qu'une blessure est importante a la douleur. Nous ne sommes pas justes;
nous ne melons presque jamais le destin au bonheur; et si nous ne le
joignons pas a la mort, c'est pour le joindre a un malheur plus grand que
la mort meme.
XLIX
Si je vous parle du destin d'OEdipe, de Jeanne d'Arc et d'Agamemnon, vous
n'apercevrez pas la vie de ces trois etres, vous ne verrez que les derniers
sentiers qui les menerent a leur fin. Vous vous direz que leur destin n'a
pas ete heureux, puisque leur mort n'a pas ete heureuse. Mais vous oubliez
que la mort n'est jamais heureuse aux yeux de ceux qui ne meurent pas
encore, et pourtant c'est ainsi que nous jugeons la vie. Il semble que la
mort absorbe tout; et si trente annees de felicite aboutissent a une mort
accidentelle, les trente annees nous paraitront perdues dans les tenebres
d'une heure douloureuse.
L
Nous avons tort de relier ainsi le destin a la mort ou au malheur. Quand
donc quitterons-nous cette idee que la mort est plus importante que la vie,
et le malheur plus grand que le bonheur? Pourquoi ne regarder que du cote
des larmes, quand nous jugeons de la destinee d'un etre, et jamais du cote
des sourires? Qui nous a dit qu'il fallut evaluer la vie a l'aide de la
mort et non pas la mort a l'aide de la vie? Nous plaignons la destinee de
Socrate, de Duncan, d'Antigone, de Jeanne d'Arc et de tant d'autres justes,
parce que leur fin fut inattendue ou cruelle, et nous nous disons que la
sagesse ou la vertu ne desarme pas le malheur. Mais d'abord, vous n'etes ni
sage ni juste si vous cherchez dans la sagesse et la justic
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