st donc vrai que le bonheur ou le malheur, lors meme qu'il arrive du
dehors, n'existe qu'en nous-memes? Tout ce qui nous entoure devient ange ou
demon selon l'etat de notre coeur. Jeanne d'Arc entend les saintes et
Macbeth les sorcieres, et c'est toujours la meme voix. Le destin, dont nous
aimons tant a nous plaindre, n'est peut-etre pas ce que nous pensions tout
a l'heure. Il n'a d'autres armes que celles que nous lui tendons. Il n'est
ni juste, ni injuste; il ne rend jamais de sentence. Ce que nous prenons
pour un Dieu n'est qu'un messager deguise. Il nous avertit simplement, a
certains jours de notre vie, que l'heure vient de sonner ou nous avons a
nous juger nous-memes.
XLVI
Il est vrai que les etres de second ordre ne se jugent pas eux-memes.
Aussi, est-ce precisement parce qu'ils refusent de se juger, qu'ils sont
juges par le hasard. Ils sont soumis a un destin presque invariable; car le
destin ne peut se transformer qu'apres le jugement que l'homme a rendu sur
lui-meme. Au lieu de transformer l'evenement qu'ils rencontrent, ils se
transforment eux-memes, moralement, au premier contact de tout ce qu'ils
rencontrent. Ils prennent immediatement la forme meme du malheur qu'ils
deplorent, et n'en prennent que la forme la plus pauvre et la plus usitee.
Tout ce qui leur arrive a l'odeur du destin. Pour celui-ci, c'est la
profession qu'il embrasse, pour celui-la, c'est une amitie qui l'accueille,
pour un troisieme, c'est la maitresse qu'il rencontre. A leur egard, hasard
et destin sont deux termes identiques; et le hasard est rarement un destin
favorable. Tout ce qui en nous-memes n'est pas occupe par la puissance de
notre ame, est immediatement occupe par une puissance ennemie. Tout vide
dans le coeur ou dans l'intelligence devient le reservoir d'influences
fatales. L'Ophelie de Shakespeare et la Marguerite de Goethe sont soumises
au destin parce qu'elles sont si freles, qu'on ne peut faire un geste, en
leur presence, qui ne devienne le geste meme du destin. Mais si Marguerite
et Ophelie eussent possede une parcelle de la force qui anime l'Antigone de
Sophocle, n'eussent-elles pas change, non seulement leurs propres
destinees, mais encore celles d'Hamlet et de Faust? Et si le More de
Venise, au lieu d'epouser Desdemone, eut pris pour femme la Pauline de
Corneille, croyez-vous que dans des circonstances identiques la destinee de
Desdemone eut ose roder un instant autour de l'amour eclaire de Pauline?
Etait-ce d
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