XXVI
Etre sage, ce n'est pas adorer sa raison seule, et ce n'est pas seulement
avoir accoutume cette raison a triompher sans peine de l'instinct
inferieur. Ce seraient la des triomphes tres steriles s'ils n'enseignaient
a la raison une soumission plus grande a un instinct d'un autre genre, qui
est l'instinct de l'ame. Ces triomphes quotidiens ne doivent etre
poursuivis que parce qu'ils permettent a un instinct de plus en plus divin
de se manifester de plus en plus librement. Leur but ne se trouve pas en
eux-memes. Ils ne servent qu'a debarrasser la route de la destinee de notre
ame qui est toujours une destinee de purification et de lumiere.
XXVII
La raison ouvre la porte a la sagesse, mais la sagesse la plus vivante ne
se trouve pas dans la raison. La raison ferme la porte aux destinees
mauvaises, mais c'est notre sagesse qui ouvre a l'horizon une autre porte
aux destinees propices. La raison se defend, interdit, recule, elimine,
detruit; la sagesse attaque, ordonne, avance, ajoute, augmente et cree. La
sagesse est bien plutot un certain appetit de notre ame qu'un produit de
notre raison. Elle vit au-dessus de la raison; aussi le propre de la
veritable sagesse est-il de faire mille choses que la raison n'approuve
pas, ou n'approuve qu'a la longue. C'est ainsi que la sagesse a dit un jour
a la raison qu'il fallait rendre le bien pour le mal et aimer ses ennemis.
La raison, s'elevant ce jour-la sur ce qu'il y a de plus haut dans son
empire, a fini par l'admettre. Mais la sagesse n'est pas encore satisfaite;
et toute seule elle cherche bien plus loin.
XXVIII
Si la sagesse n'obeissait qu'a la raison, et s'il suffisait qu'elle
triomphat exactement des conseils de l'instinct, elle serait toujours
pareille a elle-meme. Il n'y aurait qu'une seule sagesse; et l'homme en
aurait fait le tour, parce que la raison a deja fait plus d'une fois le
tour de son domaine.
Or, s'il y a plusieurs points fixes dans la sagesse, rien n'est cependant
plus different que l'atmosphere qui l'enveloppe dans Socrate et dans
Jesus-Christ, dans Aristide et dans Marc-Aurele, dans Fenelon et dans
Jean-Paul. Rien ne se transformerait plus completement qu'un evenement
pareil qui tomberait le meme jour dans les eaux vives de la sagesse de ces
hommes, au lieu que s'il tombait dans l'eau stagnante de leur raison il y
demeurerait exactement semblable a ce qu'il est en soi. Imaginez que
Jesus-Christ et Socrate rencontrent l
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