souvent dans les dangers, qui l'obligeait de mettre, a chaque relais, la
tete a la portiere de la berline, de facon a etre reconnu trois ou quatre
fois? Et dans le moment decisif, dans cette sinistre et haletante nuit de
Varennes, qui est une de ces nuits de l'histoire ou la fatalite eut du
regner a l'horizon comme une inebranlable montagne, ne la voit-on pas
chanceler a chaque pas, cette fatalite, telle qu'un enfant qui marche pour
la premiere fois et qui ne sait si c'est ce caillou blanc ou cette touffe
d'herbe qui le fera choir a droite ou a gauche dans le sentier? A l'arret
tragique de la berline, dans la nuit noire, au cri terrible pousse par un
adolescent, le jeune Drouet: "_Au nom de la nation!..._" un ordre du roi
dans la voiture, un coup de fouet, un coup de collier, et vous et moi, nous
ne serions probablement pas nes, car l'histoire du monde n'eut pas ete la
meme. Et puis devant le maire, respectueux, deconcerte, hesitant, et qui
n'attend qu'un mot imperieux pour ouvrir toutes les portes, et a l'auberge,
et dans la boutique de M. Sauce, le brave epicier du village, enfin a
l'arrivee de Goguelat et de Choiseul, entoures des hussards qui apportent
le salut, a vingt reprises, tout n'a-t-il pas dependu d'un oui ou d'un non,
d'un pas, d'un geste, d'un regard? Mettez dix hommes que vous connaissez
assez intimement dans la situation du roi de France, et vous prevoirez a
coup sur l'issue de leurs dix nuits. Ah! c'est bien la la nuit honteuse, la
nuit revelatrice de la fatalite! Vit-on jamais plus clairement la
dependance, la misere familiere et effaree de cette grande force
mysterieuse qui dans nos heures trop resignees semble peser sur notre vie?
La vit-on jamais, plus completement depouillee de ses vetements empruntes,
imposants et trompeurs, aller et venir, cent fois de suite et tout en
larmes, de la mort a la vie, de la vie a la mort, et se jeter enfin, comme
une femme epouvantee, dans les bras d'un malheureux homme un peu moins
inexistant, un peu moins indecis qu'elle-meme, pour implorer jusqu'au matin
une decision, une existence qu'elle ne trouve jamais qu'au fond d'une
intelligence, d'une volonte humaine?
XXII
Pourtant, ce n'est pas la toute la verite. Il est salutaire d'envisager
les choses de cette facon, de diminuer ainsi le role de la fatalite, de la
traiter comme une femme hesitante et egaree qu'il convient de recueillir et
de guider. Cela nous donne, en attendant notre heure dangereuse, une
con
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