stine, qu'il aimait et qui ne
l'aima point? Et Paul-Emile, aussi sage que Timoleon, n'a pas gemi sous la
main du destin quand l'aine de ses fils mourut cinq jours avant son
triomphe dans Rome et le second trois jours apres? Est-ce donc la l'abri
que la sagesse offre au bonheur? Nous faut-il effacer ce que nous avons
dit, et inscrire la sagesse au nombre de ces illusions par lesquelles l'ame
humaine tente de justifier aux yeux de la raison des desirs que
l'experience declare presque toujours deraisonnables?
XXXIX
En verite, le sage souffre aussi. Il souffre, si la souffrance est l'un
des elements de la sagesse. Il souffre peut-etre plus qu'un autre homme,
parce qu'il est un homme plus complet. Il souffre davantage, parce que
moins on est seul, plus on souffre, et que plus l'homme est sage, moins il
lui semble qu'il est seul. Il souffrira dans sa chair, dans son coeur et
dans son esprit, parce qu'il y a des parties de la chair, du coeur et de
l'esprit qu'aucune sagesse de ce monde ne peut disputer au destin. Aussi,
n'est-ce pas la souffrance qu'il s'agit d'eviter, mais le decouragement et
les chaines qu'elle apporte a celui qui l'accueille comme un maitre et non
comme le messager du personnage plus important, qu'un detour du chemin
derobe encore a notre vue. Certes, le sage, tout comme son voisin, sera
reveille en sursaut par les coups dont le messager importun ebranlera les
murs de sa demeure. Il faudra qu'il descende, il faudra qu'il lui parle.
Mais, tout en lui parlant, il regardera plus d'une fois par-dessus l'epaule
du malheur matinal, pour interroger, dans la poussiere de l'horizon, la
grande idee qu'il precede peut-etre. Au fond, quand on y songe au milieu du
bonheur, le mal dont le destin peut nous faire la surprise nous semble bien
petit. Je reconnais que le mal advenu, les proportions seront changees,
mais il n'en est pas moins certain que s'il voulait eteindre en nous le
foyer permanent du courage, il faudrait qu'il reussit a avilir
definitivement au fond de notre coeur tout ce que nous aimons, tout ce que
nous admirons, tout ce que nous adorons. Et quelle puissance etrangere
parvient a avilir un sentiment et une idee, si nous ne les detronons pas
nous-memes? Hormis les souffrances physiques, existe-t-il une douleur qui
puisse nous atteindre autrement que par nos pensees? Et qui donc fournit a
nos pensees les armes a l'aide desquelles elles nous attaquent ou nous
defendent? On souffre peu de sa souffr
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