s, a un moment donne, d'un
abime inexorable, inaccessible et insondable. Elle est formee de l'energie,
des desirs, des pensees, des souffrances, des passions de nos freres, et
nous devrions connaitre ces passions puisqu'elles sont pareilles aux
notres. Meme dans les moments les plus etranges, dans les malheurs les plus
mysterieux et les plus imprevus, nous n'avons presque jamais a lutter
contre un ennemi invisible ou totalement inconnu. N'etendons pas a plaisir
le domaine de l'ineluctable. Les hommes vraiment forts n'ignorent point
qu'ils ne connaissent pas toutes les forces qui s'opposent a leurs projets,
mais ils combattent contre celles qu'ils connaissent aussi courageusement
que s'il n'y en avait pas d'autres, et triomphent souvent. Nous aurons
singulierement affermi notre securite, notre paix et notre bonheur, le jour
ou notre ignorance et notre indolence auront cesse d'appeler fatal tout ce
que notre energie et notre intelligence auraient du appeler naturel et
humain.
XIX
Voyez une memorable victime du destin: Louis XVI. Jamais, semble-t-il, la
fatalite ne voulut plus implacablement le malheur d'un pauvre homme,
honnete, bon, doux, vertueux. Mais si on regarde l'histoire de plus pres,
de quoi est fait tout le venin de cette fatalite sinon des faiblesses, des
hesitations, des petites duplicites, des inconsequences, de la vanite et de
l'aveuglement de la victime? S'il est vrai qu'une sorte de predestination
domine toutes les circonstances d'une vie, cette predestination ne saurait
se trouver que dans notre caractere; et le caractere, n'est-ce pas ce qui
devrait se modifier le plus facilement dans un homme de bonne volonte?
N'est-ce pas, en fait, ce qui se modifie toujours dans la plupart des
existences? Avez-vous, a trente ans, le caractere que vous aviez a vingt?
Il est meilleur ou pire selon que vous avez vu triompher le mensonge et la
haine, la deloyaute et la mechancete, ou bien la verite, l'amour et la
bonte. Et vous avez cru voir triompher la haine ou l'amour, la verite ou le
mensonge d'apres l'idee plus ou moins elevee que vous vous etes faite peu a
peu du bonheur et du but de la vie. C'est ce qui preoccupe notre secret
desir qui semble naturellement l'emporter. Si vous tournez les yeux du cote
du mal, le mal est partout victorieux; mais si vous avez appris a vos
regards a s'attacher a la simplicite, a la sincerite et a la verite, vous
ne verrez au fond de toute chose que la victoire puissante et si
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