oeur
et qui ne regarde jamais l'ombre qu'elle etend sur ceux qui l'ont fait
naitre. Il est plus sage encore celui en qui les joies et les douleurs
n'augmentent pas seulement la conscience, mais font voir en meme temps
qu'il y a quelque chose de superieur a la conscience meme. C'est ici qu'on
atteint les sommets de la vie interieure, sommets d'ou l'on domine enfin
les flammes qui l'eclairent. Mais c'est la part du petit nombre, et l'on
peut vivre heureux dans les vallees moins ardentes ou s'agitent les racines
assombries de ces flammes. Il est des existences plus obscures qui
connaissent aussi leurs refuges. Il y a des vies interieures instinctives.
Il y a des ames sans initiative ou sans intelligence qui ne trouveront
jamais le sentier qui descend en elles-memes, qui ne verront jamais ce
qu'elles possedent dans cette retraite, et qui y agissent neanmoins de la
meme facon que celles dont l'intelligence en a pese tous les tresors. Il
existe des etres qui, tout en ignorant qu'il est la seule etoile fixe de la
conscience la plus haute, ne veulent que le bien, sans qu'ils sachent
pourquoi ils le veulent. Or, toute vie interieure commence moins au moment
ou l'intelligence se developpe qu'au moment ou l'ame devient bonne. Il est
assez etrange qu'il ne soit pas possible d'acquerir une vie interieure dans
le mal. Tout etre qui ne possede pas quelque noblesse d'ame n'a pas de vie
interieure. Il aura beau se connaitre, peut-etre saura-t-il pourquoi il
n'est pas bon, mais il n'aura ni cette force, ni ce refuge, ni ce tresor de
satisfactions invisibles que possede tout homme qui peut rentrer sans
crainte dans son coeur. La vie interieure n'est faite que d'un certain
bonheur de l'ame, et l'ame n'est heureuse que lorsqu'elle peut aimer en
elle quelque chose de pur. Il arrive qu'elle se trompe dans son choix: mais
alors meme qu'elle se trompe, elle sera plus heureuse que l'ame qui n'a pas
eu l'occasion de choisir.
XXXVII
Aussi est-ce deja sauver quelqu'un que de faire qu'il aime le mal un peu
moins qu'il ne l'aimait, car c'est l'aider a entreprendre tout au fond de
son ame l'edification du refuge contre lequel la destinee viendra briser
ses armes. Ce refuge est le monument de la conscience ou de l'amour, peu
importe, car l'amour est la conscience qui se cherche encore obscurement,
tandis que la conscience veritable est l'amour qui se retrouve enfin dans
la clarte. Or, c'est au plus profond de ce refuge que l'ame allume le feu
|