erieusement
le tour de leur conscience, et les heros des grandes tragedies ont des ames
qu'ils n'interrogent jamais profondement. C'est pourquoi le poete tragique
ne saurait nous montrer qu'une beaute plus ou moins enchainee, car des que
ses heros s'elevent aussi haut que de veritables heros doivent monter, ils
laissent tomber leurs armes, et le drame n'est plus que le repos dans la
lumiere. Le seul drame du sage se trouve dans le _Phedon_, dans
_Promethee_, dans la passion du Christ, dans le meurtre d'Orphee ou le
sacrifice d'Antigone. Mais ce drame mis a part, qui est le drame unique de
la sagesse, observons que les poetes tragiques osent tres rarement
permettre au sage de paraitre un moment sur la scene. Ils craignent une ame
haute parce que les evenements la craignent, et qu'un meurtre commis en
presence du sage n'a pas le meme aspect que le meurtre commis en presence
de ceux dont l'ame s'ignore encore. Si Oedipe avait possede quelques-unes
de ces certitudes que tout penseur peut acquerir, s'il avait eu en lui ce
refuge toujours ouvert que Marc-Aurele, par exemple, avait su edifier en
lui-meme, qu'aurait fait le destin, et qu'aurait-il pris a ses pieges, si
ce n'est la pure lumiere que repand une grande ame en devenant plus belle
dans l'infortune?
Ou se trouve le sage dans _OEdipe?_ Est-ce Tiresias? Il connait l'avenir,
mais il ignore que la bonte et le pardon dominent l'avenir. Il sait la
verite sacree, mais il ignore la verite humaine. Il ignore la sagesse qui
prend le malheur dans ses bras pour lui communiquer sa force. Ceux qui
savent ne savent rien s'ils ne possedent pas la force de l'amour, car le
veritable sage n'est pas celui qui voit, mais celui qui, voyant le plus
loin, aime le plus profondement les hommes. Voir sans aimer, c'est regarder
dans les tenebres.
XIV
On nous affirme que toutes les grandes tragedies ne nous offrent pas
d'autre spectacle que la lutte de l'homme contre la fatalite. Je crois, au
contraire, qu'il n'existe pas une seule tragedie ou la fatalite regne
reellement. J'ai beau les parcourir, je n'en trouve pas une ou le heros
combatte le destin pur et simple. Au fond, ce n'est jamais le destin, c'est
toujours la sagesse qu'il attaque. Il n'y a de fatalite veritable qu'en
certains malheurs exterieurs, tels que les maladies, les accidents, la mort
inopinee de personnes aimees, etc., mais il n'existe pas de _fatalite
interieure_. La volonte de la sagesse a le pouvoir de rectifier
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