du mepris, c'est un arret de mort en cette vie; il faut avoir le courage
de passer dans une autre en se recommandant a Dieu.
Mais il n'aura pas meme cet orgueil-la, je le connais, c'est un esprit
corrompu et avili par l'amour du plaisir. Sa vanite seule le fera
souffrir; mais la vanite ne donne de courage a personne; c'est un fard
que le moindre souffle fait tomber, et qui ne resiste pas a l'air de la
solitude.
Cette destinee, qu'un instant je m'etais flatte d'avoir rehabilitee
par mes reproches et par mes services, est donc tombee plus bas
qu'auparavant! Encore un homme dont la vie est manquee, et que personne,
excepte moi peut-etre, ne plaindra. Quand je me rappelle les temps
heureux que j'ai passes avec lui, lorsqu'il etait jeune, et que ni lui
ni personne ne pensait que ce beau visage riant et ce caractere vif et
joyeux pussent servir d'enveloppe a l'ame d'un lache! Il avait une mere
qui le cherissait, des amis qui se fiaient a lui; et a present!... Si
je n'etais pas marie, je courrais apres lui, j'essaierais encore de le
relever; mais cela ne servirait a rien, et Fernande souffrirait trop de
mon absence. Pauvre homme! je suis triste a la mort; je veux pourtant
cacher cette tristesse, qui se communiquerait bien vite a ma pauvre
enfant. Non, je ne veux pas voir ce beau front se rembrunir encore; je
ne veux pas couvrir de larmes ces joues si fraiches et si veloutees.
Qu'elle aime, qu'elle rie, qu'elle dorme, qu'elle soit toujours
tranquille, toujours heureuse! Moi je suis fait pour souffrir; c'est mon
metier, et j'ai l'ecorce dure.
XXIII.
DE FERNANDE A CLEMENCE.
Je suis encore triste, mon amie, et je commence a croire que tout n'est
pas joie dans l'amour; il y a aussi bien des larmes, et je ne les
repands pas toutes dans le sein de Jacques, car je vois que j'augmente
sa tristesse en lui montrant la mienne. Depuis un mois nous avons eu
plusieurs acces de melancolie sympathique sans cause reelle, mais qui
n'en ont pas moins des effets douloureux. Il est vrai que, quand ils
sont passes, nous sommes plus heureux qu'auparavant, et nous nous
cherissons avec plus d'enthousiasme; mais je me dis toujours que c'est
la derniere fois que je tourmente Jacques de mes enfantillages, et je
ne sais comment il arrive que je recommence toujours. Je ne peux pas le
voir triste sans le devenir aussitot; il me semble que c'est une preuve
d'amour et qu'il ne doit pas s'en facher; aussi ne s'en fache-t-il
pas. Il me traite tou
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