blerent confirmer mes doutes,
m'enfoncerent un poignard dans le coeur; je trouvai Jacques insense et
barbare de chercher a ressaisir dans notre amour le souvenir des autres
amours de sa vie, et je chantai la romance, tandis que de grosses larmes
me tombaient sur les doigts. Jacques me tournait le dos, et s'imaginait,
parce que son corps avait une attitude immobile, que je ne m'apercevais
pas de son emotion; mais je faisais, malgre ma douleur, une severe
attention a lui, et je surpris deux ou trois soupirs qui semblaient
partir d'une ame oppressee et briser tout son corps. Quand j'eus fini,
il y eut entre nous un long silence: je pleurais, et je laissai echapper
malgre moi un sanglot. Jacques etait tellement absorbe qu'il ne s'en
apercut pas, et sortit en fredonnant, d'un ton melancolique, le refrain
de la romance.
J'allai dans le bois pour me desoler en liberte; mais, au detour d'une
allee, je me trouvai face a face avec lui. Il m'interrogea sur ma
tristesse avec sa douceur accoutumee, mais beaucoup plus froidement que
les autres fois. Cet air severe m'imposa tellement que je ne voulus
jamais lui avouer pourquoi j'avais les yeux rouges; je lui dis que
c'etait le vent, la migraine; je lui fis mille contes dont il feignit
de se contenter, car il insista fort peu, et chercha a me distraire. Il
n'eut pas grand peine: je suis si folle que je m'amuse de tout. Il me
mena voir des chevres de Cachemire qui venaient de lui arriver, avec un
berger dont la betise me fit mourir de rire. Mais vois comme je suis!
des que je me retrouvai seule, mon chagrin me revint, et je me remis a
pleurer en pensant a cette histoire de la matinee. Ce qui me faisait
surtout de la peine, c'etait d'avoir ete importune a Jacques.
L'indifference qu'il avait montree me prouvait de reste qu'il n'etait
plus dispose a ecouter mes pueriles confessions et a s'affliger avec
moi de mes souffrances. Peut etre avait-il cette idee; peut-etre
eprouvait-il un peu de remords de m'avoir fait chanter cette romance;
peut-etre nous sommes-nous parfaitement compris tous les deux sans nous
expliquer. Le fait est que le soir il prit un air tout a fait insouciant
en me demandant si je savais par coeur la romance que j'avais chantee
le matin. "Tu aimes bien cette romance? lui dis-je avec un peu
d'amertume.--Beaucoup, repondit-il, surtout dans ta bouche; tu l'as
chantee ce matin avec une expression qui m'a emu jusqu'au fond du
coeur." Poussee par je ne sais quel besoin de me f
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