s
rires hebetes laissaient deviner une expression de plaisir quand elle
le voyait descendre de son arbre. Emmi s'etonnait lui-meme de partager
ce plaisir; il ne se disait pas, mais il sentait que la presence d'une
creature humaine, si degradee qu'elle soit, est une sorte de bienfait
pour celui qui s'est condamne a vivre seul. Un jour qu'elle lui
semblait moins abrutie que de coutume, il essaya de lui parler et de
lui demander ou elle demeurait. Elle cessa tout a coup de rire, et lui
dit d'une voix nette et d'un ton serieux:
--Veux-tu venir avec moi, petit?
--Ou?
--Dans ma maison; si tu veux etre mon fils, je te rendrai riche et
heureux.
Emmi s'etonna beaucoup d'entendre parler distinctement et
raisonnablement la vieille Catiche. La curiosite lui donnait quelque
envie de la croire, mais un coup de vent agita les branches au-dessus
de sa tete, et il entendit la voix du chene lui dire:
--N'y va pas!
--Bonsoir et bon voyage, dit-il a la vieille; mon arbre ne veut pas
que je le quitte.
--Ton arbre est un sot, reprit-elle, ou plutot c'est toi qui es une
bete de croire a la parole des arbres.
--Vous croyez que les arbres ne parlent pas? Vous vous trompez bien!
--Tous les arbres parlent quand le vent se met apres eux, mais ils ne
savent pas ce qu'ils disent; c'est comme s'ils ne disaient rien.
Emmi fut fache de cette explication positive d'un fait merveilleux. Il
repondit a Catiche:
--C'est vous qui radotez, la vieille. Si tous les arbres font comme
vous, mon chene du moins sait ce qu'il veut et ce qu'il dit.
La vieille haussa les epaules, ramassa sa besace et s'eloigna en
reprenant son rire d'idiote.
Emmi se demanda si elle jouait un role ou si elle avait des moments
lucides. Il la laissa partir et la suivit, en se glissant d'arbre en
arbre sans qu'elle s'en apercut. Elle n'allait pas vite et marchait
le dos courbe, la tete en avant, la bouche entr'ouverte, l'oeil fixe
droit devant elle; mais cet air extenue ne l'empechait pas d'avancer
toujours sans se presser ni se ralentir, et elle traversa ainsi la
foret pendant trois bonnes heures de marche, jusqu'a un pauvre hameau
perche sur une colline derriere laquelle d'autres bois s'etendaient a
perte de vue. Emmi la vit entrer dans une mechante cahute isolee des
autres habitations, qui, pour paraitre moins miserables, n'en etaient
pas moins un assemblage de quelques douzaines de taudis. Il n'osa pas
s'aventurer plus loin que les derniers arbres de la
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