vains regrets et de steriles comparaisons.
--Quoi qu'il en soit, dit vivement M. Lechien, racontez vos souvenirs;
il m'importe beaucoup de savoir qu'une fois en votre vie vous avez
eprouve le phenomene que j'ai subi plusieurs fois.
--J'y consens, repondit sir William, car j'avoue que votre exemple et
vos affirmations m'ebranlent et m'impressionnent beaucoup. Si c'est un
simple reve qui s'est empare de moi pendant la ceremonie que presidait
l'elephant sacre, il a ete si precis et si frappant, que je n'en
ai pas oublie la moindre circonstance. Et moi aussi, j'avais ete
elephant, elephant blanc, qui plus est, elephant sacre par consequent,
et je revoyais mon existence entiere a partir de ma premiere enfance
dans les jungles et les forets de la presqu'ile de Malacca.
"C'est dans ce pays, alors si peu connu des Europeens, que se
reportent mes premiers souvenirs, a une epoque qui doit remonter aux
temps les plus florissants de l'etablissement du bouddhisme, longtemps
avant la domination europeenne. Je vivais dans ce desert etrange, dans
cette _Chersonese d'or_ des anciens, une presqu'ile de trois cent
soixante lieues de longueur, large en moyenne de trente lieues. Ce
n'est, a vrai dire, qu'une chaine de montagnes projetee sur la mer
et couronnee de forets. Ces montagnes ne sont pas tres-hautes. La
principale, le mont Ophir, n'egale pas le puy de Dome; mais, par leur
situation isolee entre deux mers, elles sont imposantes. Les versants
sont parfois inaccessibles a l'homme. Les habitants des cotes, Malais
et autres, y font pourtant aujourd'hui une guerre acharnee aux
animaux sauvages, et vous avez a bas prix l'ivoire et les autres
produits si facilement exportes de ces regions redoutables. Pourtant,
l'homme n'y est pas encore partout le maitre et il ne l'etait pas du
tout au temps dont je vous parle. Je grandissais heureux et libre sur
les hauteurs, dans le sublime rayonnement d'un ciel ardent et pur,
rafraichi par l'elevation du sol et la brise de mer. Qu'elle etait
belle, cette mer de la Malaisie avec ses milliers d'iles vertes comme
l'emeraude et d'ecueils blancs comme l'albatre, sur le bleu sombre
des flots! Quel horizon s'ouvrait a nos regards quand, du haut de nos
sanctuaires de rochers, nous embrassions de tous cotes l'horizon sans
limites! Dans la saison des pluies, nous savourions, a l'abri des
arbres geants, la chaude humidite du feuillage. C'etait la saison
douce ou le recueillement de la nature nous remplissai
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