r leurs eventails majestueux et leurs palmes de cinq metres de
longueur.
"Ma noble mere me cherissait, me menait partout avec elle et ne vivait
que pour moi. Elle m'enseignait a adorer le soleil et a m'agenouiller
chaque matin a son apparition glorieuse, en relevant ma trompe blanche
et satinee, comme pour saluer le pere et le roi de la terre; en ces
moments-la, l'aube pourpree teignait de rose mon fin pelage, et
ma mere me regardait avec admiration. Nous n'avions que de hautes
pensees, et notre coeur se dilatait dans la tendresse et l'innocence.
Jours heureux, trop tot envoles! Un matin, la soif nous forca de
descendre le lit d'un des torrents qui, du haut de la montagne, vont
en bonds rapides ou gracieux se deverser dans la mer; c'etait vers la
fin de la saison seche. La source qui filtre du sommet de l'Ophir ne
distillait plus une seule goutte dans sa coupe de mousse. Il nous
fallut gagner le pied de la jungle ou le torrent avait forme une suite
de petits lacs, pales diamants semes dans la verdure glauque des
nopals. Tout a coup nous sommes surpris par des cris etranges, et des
etres inconnus pour moi, des hommes et des chevaux se precipitent sur
nous. Ces hommes bronzes qui ressemblaient a des singes ne me firent
point peur, les animaux qu'ils montaient n'approchaient de nous
qu'avec effroi. D'ailleurs, nous n'etions pas en danger de mort. Nos
robes blanches inspiraient le respect, meme a ces Malais farouches et
cruels; sans doute ils voulaient nous capturer, mais ils n'osaient se
servir de leurs armes. Ma mere les repoussa d'abord fierement et sans
colere, elle savait qu'ils ne pourraient pas la prendre; alors, ils
jugerent qu'en raison de mon jeune age, ils pourraient facilement
s'emparer de moi et ils essayerent de jeter des lassos autour de
mes jambes; ma mere se placa entre eux et moi, et fit une defense
desesperee. Les chasseurs, voyant qu'il fallait la tuer pour m'avoir,
lui lancerent une grele de javelots qui s'enfoncerent dans ses vastes
flancs, et je vis avec horreur sa robe blanche se rayer de fleuves de
sang.
"Je voulais la defendre et la venger, elle m'en empecha, me tint de
force derriere elle, et, presentant le flanc comme un rempart pour me
couvrir, immobile de douleur et stoiquement muette pour faire croire
que sa vie etait a l'epreuve de ces fleches mortelles, elle resta la,
criblee de traits, jusqu'a ce que, le coeur transperce cessant de
battre, elle s'affaissat comme une montagne. La terre r
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