evenir avec leur pere. Elle
n'y songea pas, et s'eloigna en se plaignant de ma froideur, qu'elle
n'avait pas comprise. Elle me rendit pourtant son estime quelque jours
apres, lorsqu'elle revint avec la famille. Les tendresses que je fis
aux enfants surtout lui prouverent bien que j'avais le coeur fidele et
sensible.
"Sur mes vieux jours, un rayon de soleil embellit ma vie. On amena
dans la maison la petite chienne Lisette, que les enfants se
disputerent d'abord, mais que l'ainee ceda a sa soeur en disant
qu'elle preferait un vieux ami comme moi a toutes les nouvelles
connaissances. Lisette fut aimable avec moi, et sa folatre enfance
egaya mon hiver. Elle etait nerveuse et tyrannique, elle me mordait
cruellement les oreilles. Je criais et ne me fachais pas, elle etait
si gracieuse dans ses impetueux ebats! Elle me forcait a courir et a
bondir avec elle. Mais ma grande affection etait, en somme, pour la
petite fille qui me preferait a Lisette et qui me parlait raison,
sentiment et moralite, comme avait fait sa grand'mere.
"Je n'ai pas souvenir de mes dernieres annees et de ma mort. Je crois
que je m'eteignis doucement au milieu des soins et des encouragements.
On avait certainement compris que je meritais d'etre homme, puisqu'on
avait toujours dit qu'il ne me manquait que la parole. J'ignore
pourtant si mon esprit franchit d'emblee cet abime. J'ignore la forme
et l'epoque de ma renaissance; je crois pourtant que je n'ai pas
recommence l'existence canine, car celle que je viens de vous raconter
me parait dater d'hier. Les costumes, les habitudes, les idees que je
vois aujourd'hui ne different pas essentiellement de ce que j'ai vu et
observe etant chien..."
Le serieux avec lequel notre voisin avait parle nous avait forces
de l'ecouter avec attention et deference. Il nous avait etonnes et
interesses. Nous le priames de nous raconter quelque autre de ses
existences.
--C'est assez pour aujourd'hui, nous dit-il; je tacherai de rassembler
mes souvenirs, et peut-etre plus tard vous ferai-je le recit d'une
autre phase de ma vie anterieure.
DEUXIEME PARTIE
LA FLEUR SACREE
A AURORE SAND
Quelques jours apres que M. Lechien nous eut raconte son histoire,
nous nous retrouvions avec lui chez un Anglais riche qui avait
beaucoup voyage en Asie, et qui parlait volontiers des choses
interessantes et curieuses qu'il avait vues.
Comme il nous disait la maniere dont on chasse les elephants dans le
Laos, M.
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